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cxx ETUDE SUR MEDEE

suite, pas d'intérêt sérieux qui s'attache aux scènes entre Médée et Créou, dans le second acte, entre Médée et Jason_, dans le troisième. Sénèque, d'ailleurs, y suit d'assez près Euripide. Voilà bien Créon, le despote impérieux et lâche : c'est la même terreur, manifestée à la vue de la magicienne, c'est la même alTectation de bonhomie paterne, puis la même explosion des vrais sentiments trop longtemps contenus, le même arrêt sans réplique : « Egre- dere, purga régna, » à peme mitigé par l'octroi d'un jour de répit. Voilà bien aussi Jason, l'époux ingrat qui fait de son ingra- titude une vertu, qui, à Médée rappelant ses bienfaits, répond en lui reprochant des forfaits accomplis pour lui seul, le père à qui l'amour paternel est un masque avantageux. X'est-ce pas l'affec- tion paternelle quia étouffé l'amour conjugal ? N'est-ce pas au repos de ses enfnits qu'il se sacrifie? Sénèque a même donné à ce dé- tail une importance toute nouvelle: tandis que, dans la tragédie grecque, la tendresse paternelle, invoquée d'abord comme un prétexte spécieux, ne se réveille vraiment que lorsqu'il est trop tard, dans la pièce latine elle apparaît au premier plan ; tandis que le Jason d'Euripide accepte d'abord sans grande peine l'idée de voir ses enfants suivre leur mère dans l'exil, le Jason de Sé- nèque refuse de se séparer d'eux, et Médée, charmée d'avoir décou- vert l'emlroit faible par où elle peut le frapper, s'écrie avec une joie féroce :

Bene est, tenetur : vulneri patuit locus.

Ce cri serait dramatique, si Médée venait d'entrevoir, alors seulement, le moyen, vainement cherché jusque-là, de désespérer Jason, si, éclairée soudain parce trait de lumière, elle triomphait detenirenfin sa vengeance; mais ce moyen, ily a longtemps qu'elle le connaît et nous l'a fait connaître ; cette vengeance, il y a long- temps qu'elle en a réglé l'exécuHou. Ainsi, nous sommes instruits de tout, nous nous attendons à tout, et nous ne sommes qu'à la fin du troisième acte.

Quelles surprises nous réservent donc les deux derniers actes et comment s'y prendra le poète pour renouveler la source trop vite tarie de l'émotion dramatique, si tant est qu'il nous ait jamais émus? Il faut s'attendre aux inventions les plus extra- vagantes : Sénèque a l'amour, non seulement du détail pittoresque et du trait fortement marqué, mais de l'horrible; il y a eu lui l'étoffe d'un « réaliste » moderne. Tout le quatrième acte est une longue déclamation de plus de deux cents vers, dont la mise en scène devient risible à force de devenir effrayante. Un copieux récit de la nourrice nous introduit dans le laboratoire de

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