Aller au contenu

Page:Corneille Théâtre Hémon tome1.djvu/134

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Gxxii ETUDE SUR MÉDEE •

et que là, en vue du peuple entier, eu plein soleil, elle achève de montrer, par un nouvel et sanglant exemple, ce dont Médée est capable. Jasou accourt, furieux, — car il semble que la fureur de Médée soit contagieuse — et commande qu'on mette le feu à la maison où elle s'est réfugiée; mais déjà Médée a égorgé le second de ses enfants, déjà elle s'envole dans un char attelé de deux dragons ailés, et Jasou, resté seul, conclut ce drame terrible par cette épigramme philosophique :

Per alta vade spatia sublimis œtheris ; Testare nuUos esse, qui veheris, deos.

��En résumé, peu ou point d'action, point de progression dans l'intérêt, aucune vraisemblance, aucun caractère vraiment humain, tel est le drame de Sénèque, si l'on peut appeler drame une col- lection de morceaux à etfet. Sur ce fond monotone ou voit pour- tant se détacher quelques beaux passages, surtout dans la partie lyrique, où Sénèque a son originalité propre. Les chœurs et les mouodies ont parfois dp. la grandeur, parfois même de la grâce. Certains traits inattendus y frappent vivement l'imagination. Qui jjouvait prévoir, par exemple, que le chœur des Corinthiens prophétiserait la découverte de l'Amérique?

��Venient annis saecula seris, Quibus Oceanus vincula rerum Laxet, et ingens pateat tellus, Tethysque novos detegat orbes, Nec sit terris ultima Thule.

��On dit que cette étrange prophétie ne fut pas sans influence sur la détermination de Christophe Colomb ; mais l'influence des tra- gédies de Sénèque n'a pas toujours été aussi heureuse. Il est permis de l'affirmer sans exagération : Sénèque a été le mauvais génie de la tragédie française à sa naissance. Singulière destinée que celle de ce rhéteur dramatique, dont le nom même est un problème, dont les pièces ou plutôt les déclamations n'ont point été faites pour le théâtre, et qui, au seizième, au dix-septième siècle, s'impose à l'admiration des hommes de théâtre, qui, soutenu pour ainsi dire par eux, monte sur la scène fran- çaise, lui que la scène latine n'avait pas connu! C'est par la fausse apparence de la grandeur qu'il séduisait de fortes intelligences, éprises de la grandeur vraie, mais inhabiles à en discerner les caractères. La Rome qu'ils admiraient de préférence, c'était cette

�� �