ETUDE SUR MEDEE cxxix
soutiendra-t-il cette majesté déjà si mal soutenue par Créon?Dans une scène qui lui appartient tout entière, Corneille oppose le vieux roi à la jeune princesse. Là encore nous sommes en pleine co- médie. Fort peu majestueuse est l'entrée du roi d'Athènes : il ar- rive furieux, il injurie Creuse, en qui déjà il voit la femme «d'un assassin et d'un empoisonneur », en un mot il s'oublie. Creuse, au contraire, toujours maîtresse d'elle-même, lui répond avec une dignité simple et une finesse railleuse qui accroissent encore sa colère. Supposons, pour un moment, que nous lisons, non pas Médéc, mais la Galerie du Palais ou la Place Royale, ce caractère de Creuse nous semblera tracé d'une main assez légère, et cette réplique tout à fait dans le ton juste, mais dans le ton de la comédie :
��J'épousp un malheureux, et mon père y ronsent, Mais prince, mais vaillant, et surtout innocent. Non pas que je ne faille en cette préférence : De votre rang au sien je sais la différence. Mais, si vous connaissez l'amour et ses ardeurs, Jamais pour son objet il ne prend les grandeurs : Avouez que son feu n'en veut qu'à la personne. Et qu'en moi vous n'aimiez rien moins que ma couronne. Souvent je ne sais quoi, qu'on ne peut exprimer, Nous surprend, nous emporte et nous iorce d'aimer, Et souvent, sans raison, les objets de nos flammes Frappent nos yeus ensemble et saisissent nos âmes.
Ce '<■ je ne sais quoi » d'indéfluissable. Corneille, plus d'une fois encore, essayera de le définir; mais on avouera qu'en ce cadre terrible ces jolis détails étonnent le regard et que la char- mante Creuse pâlit un peu vis-à-vis de .Médée. Pour décourager son vieux prétendant sans l'offenser, Creuse met eu oeuvre les ressources de la diplomatie la plus consommée : elle aime plus Jason, sans doute, mais, en revanche, elle estime plus ^Egée. Ne saurait-il se contenter de cette estime? En femme de tète, et qui s'entend aux affaires, elle lui déduit toutes les raisons person- nelles et surtout politiques qui lui interdisent d'être reine d'Athènes ; en héroïne de Corneille, elle met en avant « le bien de l'État ». .Egée n'est point dupe; son dépit s'exhale dans un monologue où il fait pressentir une vengeance prochaine :
La jeunesse me manque, et non pas le courage Les rois ne perdent point les forces avec l'âge.
Chose curieuse! Ils sont là deux rois qui ne cessent de répé-
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