Page:Corneille Théâtre Hémon tome1.djvu/148

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

cxxxvi ÉTUDE SUR MEDEE

Jasou puise dans sa douleur une éloquence encore un peu em- phatique, mais qui ne sonne plus faux :

��Justes dieux.' quel foifait me condamne à la vie?

Mais ce ne sont là que des éclairs. Que Médée, apparue « sur un balcon », le défie, s'avoue coupable de ces crimes, y ajoute un crime plus abominable encore, le meurtre de ses enfants, Jason, s"oubliant de nouveau, ne trouve que des injures à opposer à ses bravades; il invective cette « horreur de la nature », cette « exécrable tigresse »; il veut qu'on brise la porte, qu'on enfonce la maison, qu'on saisisse la magicienne pour la livrer aux bour- reaux. Mais elle, souriante, maîtresse d'elle-même en face de ces fureurs puériles, s'élève dans les airs sur un char attelé de deux dragons, et lance à son « cher époux » ces défis d'un goût dou- teux :

��Suis-moi, .lason, et trouve en ces lieux désolés Des postillons pareils à mes dragons ailés... Enfin je n'ai pas mal employé la journée.

��Quel parti va pi"endre Jason? Il se décide à réciter d'abord un monologue d'environ cinquante vers (il y a neuf monologues dans Médée), puis, après avoir bien maudit sa « tigresse » et bien pleuré sa '< reine », après bien des hésitations, des retours, des anti- thèses, il fait ce qu'il aurait pu faire sans monologue : il se tue.

Un pareil dénouement laisse le spectateur et le lecteur médio- crement satisfaits. •< Ce spectacle de mourants, écrit ingénument Corneille dans son Examen, m'était nécessaire pour remplir mon cinquième acte, qui sans cela n'eût pu atteindre à la longueur ordinaire des nôtres; mais, à dire le vrai, il n'a pas l'elîet que demande la tragédie, et ces deux mourants importunent plus par leurs cris et par leurs gémissements, qu'il ne font pitié par leur malheur. » Si l'on ajoute à ces deux victimes Jason et ses deux enfants, qui, par bonheur, meurent sans parler, l'on arrive à un effrayant total de cinq cadavres. Mais ce n'est point cette accu- mulation de cadavres qui nous est le plus pénible : la seule grande coupable, c'est Médée; c'est aussi la seule qui ne soit pas frappée, alors que tant d'innocents le sont par elle.

Assurément, le poète tragique n'est pas obligé d'être didactique; il ne saurait même sans péril essayer de l'être, ni donner de parti pris à son dénouement le caractère d'une leçon morale. Corneille a raison, dans son Épître dédicatoire, de dire que le but de la

�� �