Aller au contenu

Page:Corneille Théâtre Hémon tome1.djvu/149

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ÉTUDE SUR MÉDEE cxxxvu

po(sie dramatique est de plaire, que, traitant indifféremiuent les boQues et les mauvaises actions, si elle veut nous eu faire hor- reur, ce n'est point par leur punition, mais par leur laideur, représentée au naturel. Oui, nous comprenons qu'il soit inutile de punir Médée, s'il est vrai qu'on nous la fasse haïr; mais est-elle donc si odieuse dans toute la première partie de la pièce? En nous peignant Jason si lâche, Créon si brutal, le poète n'avait pas sans doute pour but de leur conquérir notre sympathie, qui va droit a la femme abandonnée, malgré ses crimes passés qu'on oublie, malgré ses crimes futurs, qu'on ne veut pas prévoir. A qui donc, sinon à elle, pourrait s'attacher notre sympathie? Le seul carac- tère vraiment grand est celui de Médée; le seul intérêt vraiment dramatique est celui de la lutte qu'elle engage seule contre tous. Il est permis de ne pas l'aimer, il est difficile de ne pas Fadmirer.

Malgré les emprunts de détail, malgré les faiblesses trop nombreuses, la Mrdée des trois premiers actes est toute corné- lienne; ce n'est qu'une ébaucha, mais c'est une ébauche de génie. Euripide est égalé par endroits, Sénèque presque partout est surpassé. Par malheur, les deux derniers actes ne sont qu'un compromis équivoque entre la manière théâtrale de Séuéque et la manière nouvelle de Corneille, qui flotte entre la grandeur réelle et l'emphase, entre le drame humain, déjà deviné dans Médée, bientôt réalisé dans le Cid, et le drame factice dont l'imitation s'impose à son génie encore hésitant. La passion sin- cère, la jalousie naturelle, l'indignation trop légitime de la femme nous avaient touchés; les froides hyperboles de la magi- cienne et ses froides atrocités, si nous les prenons au sérieux, changent notre vague pitié en aversion. Si encore, nous déta- chant du parti de Médée, nous pouvions passer à celui de Jason ! Mais, à mesure que l'action s'avance, le nile de Jason semble se l'aire de plus en plus piteux; rien n'est plus glacial que le mono- logue par lequel il termine la pièce : on y cherche vainement un mot qui aille au cœur.

Ainsi, l'on blâme Corneille, non pas d'avoir peint Médée telle qu'on l'avait peinte avant lui. telle qu'elle devait être, mais de n'avoir pas su choisir entre les éléments humains et surhumains de ce caractère, d'avoir essayé de les combiner dans un mélange équivoque, et de n'avoir réussi qu'à compromettre l'unité de l'in- térêt et du ton. Corneille, on le sent, n'a pas encore la claire vision de sou idéal : cette lutte émouvante de la passion et du devoir, qui sera l'âme de ses chefs-d'œuvre, elle est absente de Médée. La passion n'y est ni victorieuse, ni vaincue, puisqu'un pouvoir mystérieux se substitue à son action, et l'annihile. Le devoir n'y triomphe [las davantage, puisque Médée, loin de regretter ses crimes, s'en applaudit avec plus de jactance et d'in-

�� �