Page:Corneille Théâtre Hémon tome1.djvu/182

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s LE CID

l'aide, contre toute justice, a s'approprier i^ part de sea frères Garcie et Alphonse. Et les moyens sont dignes du but. Vainqueur dans une bataille qui, d'après un pacte conclu à l'avance, devait décider du sort des deux royaumes, Alphonse, roi de Léon, avait arrêté la poursuite des vaincus et se repo- sait dans son camp. C'est le moment que Rodrigue choisit pour fondre sur les Léonais endormis dans une sécurité trom- peuse, et pour les exterminer. Nouveau trait, fort propre à frapper l'imagination populaire, surtout en un temps où l'admiration s'attachait de préférence aux plus forts. Ulysse n'était pas autrefois moins admiré qu'Achille. Combien devait l'être un héros qui au fougueux courage d'Achille unissait l'habileté rusée d'Ulysse!

Don Sanche meurt, assassiné par un traître devant Zamora, qu'il voulait arracher à sa sœur, l'infante Urraque. Il n'était pas invraisemblable d'attribuer ce meurtre à son frère Al- phonse, qu'il avait fait jeter dans un cloître; mais il était dangereux de trop laisser paraître de tels soupçons, car Al- phonse devenait roi par la mort de Sanche. Plus que tout autre, Rodrigue devait tenir à ménager le nouveau souverain, pour faire oublier la trahison d'autrefois. Jamais, au con- traire, on ne le vit plus arrogant. C'est lui qui, s'érigeant en chef des nobles et des soldats, en juge des rois, contraint Alphonse à prêter par trois fois, devant les autels, le serment qu'il n'a pas armé la main de l'assassin, et l'irrite par son insistance, mais aussi l'effraye par sa hauteur, puisque Al- phonse lui donne en mariage la fille de Diego, comte d'Or- viedo, Ximena, sa cousine ^ Voila, ce nous semble, un nou- veau Cid, un faiseur de rois, égal, sinon supérieur aux. maîtres qu'il sert, et dont il vérifie les titres avant de les accepter.

Voici maintenant un Cid persécuté, qui devient sans peine un héros populaire. On ne peut nier qu'Alphonse n'eût des motifs sérieux de rancune; mais cette rancune devait paraître à la foule moins celle d'un roi offensé que celle d'un rival jaloux. Ajoutez que le prétexte de la disgrâce était futile : le Cid avait-il vraiment pris sa part dans les riches présents offerts par le roi maure de Séville? On ne sait, et peu importe : les contemporains se souciaient bien de ces misères! Exilé, Rodrigue grandit encore, comme Achille retiré

1. « De ce mariage, devenu si romanesque dans la légende, il n'est rien dit de plus dans l'histoire. On a une charte de donation authentique qui fut dressée à cette occasion (1074). M. Damas-Hinard croit avoir de bonnes raisons de suppo >er que ce mariage était le second de Rodrigue, qui avait alors quarante-huit ans environ; il y aurait eu une premier* Chimëne. » /Sainte-Beuve, Nouveauit Lundis, VII.)

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