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Page:Corneille Théâtre Hémon tome1.djvu/186

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IS LE CID

f)lus précieux, car les mœurs primitives y revivent dans toute eur rudesse. Qu'elle soit du xii^ ou du xu\° siècle, on ne dira pas qu'elle idéalise ou modernise le héros. Même on peu» juger qu'elle lui est moins favorable que Ihistoire. Le suje» y est réduit à des proportions m.esquines : plus de grand.s intérêts en jeu ; rien qu'une assez vulgaire querelle enlm voisins. De quoi s'agil-il ? De troupeaux enlevés par le comtr don Gomez de Gormas à Diego Laynez absent, et de In revanche de Diego, qui ravage les terres de l'agresseur, e' enlève à son tour ses troupeaux, ses vassaux, ses lavandières. C'est pour ce beau motif que s'engage le combat de cent contre cent, où Rodrigue, âgé de moins de treize ans, tue le comte, père de Chimène. Chimène est attristée, mais non pas surprise outre mesure du malheur qui la frappe : elle sait en quel temps elle vit et se désole surtout de rester sans défen- seur. Si, avec ses deux sœurs, velue d'habits de deuil, elle va trouver Rodrigue à Bivar, c'est pour demander et obtenir qu'on lui rende ses frères prisonniers. Si ellearecours au roi. ce n'est pas qu'elle poursuive une vengeance implacable; car dès que le roi hésite à la satisfaire, elle prend son parti avec une décision remarquable : « Donnez-moi pour mari Ro- drigue, celui qui a tué mon père ». Rodrigue n'est encore qu'un enfant, mais il promet d'être un homme, et c'est d'un homme que Chimène a besoin pour la protéger.

Toute cette peinture de la vie féodale est d'une rare éner- gie. Aucune loi; la volonté royale elle-même est peu respectée quand elle contrarie la volonté des individus. Chacun vit chez soi et pour soi, chacun montre une sauvage défiance de tout ce qui n'est pas lui. Mandés à la cour, don Diègue et son flls s'arment et se font suivre d'une escorte de trois cents amis. Quel courtisan que Rodrigue ! Il ne consent à baiser la main du roi que sur Tordre de son père, et il le fait d'un tel air, il agite et fait briller si bien son estoc, que le roi, épouvanté d'un tel hommage, s'écrie : «Retire-toi. Rodrigue, laisse-moi; va-t'en ailleurs, démon, car tu as, avec les gestes d'un homme, les mouvements d'un lion furieux. » Et le farouche Rodrigue réplique : « Pour avoir baisé la main du roi je ne me tiens pas pour honoré ; mais parce que mon père l'a baisée, je me liens pour offensé. » Voici sur quel ton cet étrange vassa! accepte la main de Chimène: « Seigneur, vous m'avez marie plutôt de force que de gré; mais je déclare devant le Christ que je ne vous baiserai point la main et que je ne me verrai point avec ma femme en désert ni en lieu habité jusqu'à ce que j'aie remporté cinq victoires en bon combat dans le champ. » Qu'on ne croie pas que le roi s'irrite; il est

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