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INTRODUCTION 23

souvent disparate, auquel fait défaut l'unité sévère du drame cornélien.

Avec Castro pourtant, Corneille cite, au début de son Ave»- tissement, Y hhioire du jésuite espagnol Mariana', dont Castro lui-même a pu s'inspirer, car c'est dans l'histoire de Mariana (ju'apparaît pour la première fois l'idée, si féconde en beaux effets dramatiques, de l'amour qui unit Rodrigue à Chimène. Dans son histoire latine, publiée de 1592 à 1595, Mariana disait seulement :

« Govmatii comitem Gometium non multo antea, m prima con- tenlione,adacto in viscera gladio peremerat Rodericus. Occisi patris^ pro quo supplicium debebatur, merces Semenœ fUix con- jugium fuit, quum illa, juvenis virtutem admirata, sibi virum dari^ aut lege in eum agi, rcgcm postulasses^. »

Il n'y a là encore qu'une indication très vague et qui ne contredit nullement les anciennes légendes : Chimène admire Rodrigue comme une femme de ce temps pouvait admirer un vaillant soldat, en qui elle souhaite trouver un défenseur, et c'est dans celte espérance très prosaïque qu'elle réclame, on nous passera l'expression, le mariage ou la mort. Mais dans la version espagnole que publia Mariana lui-même, l'admira- tion fait place à l'amour : ca estaba muy prenduda de sus partes, car elle était fort éprise de ses qualités 3. C'est là une vue toute nouvelle, dont les drames de Castro et de Corneille seront éclairés.

Là même pourtant, en se souvenant de Mariana et de Castro, Corneille a créé ; mais les critiques ont été plus frappés en général des ressemblances que des différences, et même en France on n'a pas toujours rendu pleine justice au poète français. Voltaire et La Harpe ne comprennent qu'à moitié à quel point cette imitation est originale. Un écrivain moins connu et plus moderne est plus injuste encore : à l'en croire, tous les mots sublimes seraient de Castro, même sans doute ceux de la seconde entrevue des amants, entièrement nou- velle; Corneille n'aurait apporté à l'œuvre espagnole qu'un petit nombre de changements, malheureux pour la plupart. Tout en avouant que les deux derniers actes appartiennent plus en propre à Corneille, il n'y admire, ni une égale vérité dans les caractères, ni une égale grandeur dans les tableaux « Dans la première moitié, conclut-il, Guilhem de Castro est

1. Juan de Mariana (1537-1624), célèbre par sa théorie du régicid», exposée dans son De rege et de régis institutione (1599), naquit à Talavera. •'ion histoire m été traduite en 1725, par le P. Cbarenton.

2. Historix de rébus Hispanix.

t. Voyex l'ATertisseraent qui précède l'Examen.

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