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Page:Corneille Théâtre Hémon tome1.djvu/198

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24 LE CID

supérieur à Corneille, et dans l'autre il est douteux qu'il lui soit inférieur. C'est donc une première injustice que d'élever Corneille au-dessus de son rival, lequel a sur lui l'immense, l'incomparable avantage d'avoir créé les personnages et le drame *. » A ce compte, Castro lui-même n'aurait rien créé, puisqu'il a puisé à pleines mains dans le Romancero. Les deux poètes, à des degrés divers, sont des imitateurs; mais il ne s'agit pas de les opposer et de les préférer l'un à l'autre ; il est plus instructif, ce semble, de marquer les traits caractéris- liques de chaque œuvre, et l'esprit différent dont elle s'in- spire.

Comparer la pièce de Castro à la pièce de Corneille, c'est rl'Welopppr le mot si juste de Sainte-Beuve : «Partout Cor- m'illea rationalisé, intellectualisé la pièce espagnole, variée,

imusante, éparse, bigarrée; il a mis les seuls sentiments aux

|)rises. « Ce qui revient à dire :

Que Corneille a réduit l'épopée dramatique, un peu touffue et changeante, du poète espagnol, aux proportions d'un drame véritable, resserré et condensé;

Que, par suite, il a tout simplifié, sacrifiant à l'intérêt d'une action que contraint la règle des vingt-quatre heures, non seulement certaines situations plus éclatantes qu'utiles, mais encore certains caractères qui ne semblent pas absolu- ment indispensables, comme ceux de la reine, du prince royal, de l'infante même, dont la figure est chez lui beaucoup pluj etiacée, n'inventant, en somme, que îe personnage de don Saiiche, et ne l'inventant que pour mieux faire ressortir la personnage de Rodiigue, pour mieux accélérer la crise et préparer le dénouement;

Que tout, sous sa main, a pris une forme abstraite; que l'analyse morale s'est substituée au spectacle extérieur, à tel point que le lieu de la scène, si précis chez le poète espa- gnol, est presque toujours indéterminé chez le poète français, plus psychologue qu'artiste;

Qu'enfin, tandis que Castro se joue à multiplier les pein- tures pittoresques, h combiner les antithèses, à raffiner les madrigaux, dans un rhythme sonore et léger qui se prête mal à l'pxpression des grands sentiments, son rival, maniant sans effort le grave alexandrin, dédaigne les frivolités de la galan- terie pour glorifier l'amour vrai, et n'a souci de nous peindre que l'héroisme humain s'exaltant dans l'accompUssement dr devoir.

��1. Perrière, Littérature et pkiloiophxe. Marpon, 1805

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