Page:Corneille Théâtre Hémon tome1.djvu/202

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
^8 LE CID

Scène 2. La première entrevue. Voici la scène où Corneille

semble avoir suivi de plus près les traces de son modèle. Caché par Elvire dans une chamnre voisine, Rodrigue a entendu les plaintes et les aveux de Chimène; il se montre tout à coup : « Ciel! Rodriiîue, Rodrigue en ma maison! — Ecoule-moi. — Je me meurs. — Je veux seulement que tu entendes ce que j'ai à te dire et que tu me répondes ensuite avec ce fer. » Le reste du couplet de Rodrigue est traduit prescpie mot à mot : il a longtemps hésité a faire son devoir, et Chimène l'emportait sans doute dans scn âme. s'il ne se fiit souvenu qu'elle haïrait infâme celui qu'elle avait aimé généreux. Qu'elle fasse son devoir à son tour et venge son père comme il a vengé le sien. Chimène répond comme chez Corneille, non par des reproches, mais par de touchants regrets. Rodrigue, elle l'avoue, s'est conduit en chevalier; mais pourquoi lui apporter cette épce, encor.- teinte du sang paternel? « Va-t'en, va-t'en, Rodrigue! Pour ceux qui pensent que je t'adore, mon honneur sera justifié quand ils sauront que je le poursuis. J'aurais pu justement sans l'entendre te faire donner la mort; mais je ne suis ta partie que pour te poursuivre, et non pour te tuer. Va-l'en et fais en sorte de te retirer sans qu'on te voie. C'est bien assez de m'ôter ainsi ma vie sans m'ôter encore ma renom- mée. — Satisfais mon juste désir : frappe. — Laisse-moi... — Ainsi tu m'abhorres? — Je ne le puis : mon destin m'a trop enchaînée. — Dis-moi donc ce que ton ressentiment veut faire. — Quoique femme, pour ma gloire, je vais faire contre loi tout ce que je pourrai..., souhaitant de ne rien pouvoir. — Ah! qui eût dit. Chimène? — Ah! Rodrigue, qui l'eût pensé? — Que c'en était fait de ma félicité? — Que mon bonheur allait périr? Mais, ô c.el ! je tremble qu'on ne te voie sortir... Pars, et laisse-moi à mes peines. — Adieu donc, je m'en vais mourant. »

Tout l'admirable duo des amants cornéliens est là sans doute en germe; mais rien n'appartienl-il en propre à noir? poète? La Chimène espagnole semble beaucoup plus préoi^- cupée de sa réputation que de son amour. Vers la fin seule- ment arrive le beau retour sur le bonheur disparu : « Ah! qui eût dit, Chimène?... — Ah! Rodrigue, qui l'eût pensé? » Mais ce n'est qu'un éclair. Dès le début, la Chimène française, avec un douloureux et charmant abandon, ouvre son âme à Rodrigue, et lui laisse voir que ce dont elle est surtout désespérée, c'est d'avoir peidu Rodrigue en perdant son père. Le duo prend ainsi je ne sais quel caractère plus intime et plus poignant

�� �