Page:Corneille Théâtre Hémon tome1.djvu/242

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«s LE CID

au oaractère de son sexe*. » Le même Geoffroy cite pourtant

l'opinion d'un critique contemporain de Corneille, très difTé rente de la sienne : « Chimène, au lieu de tâcher d'émouvoir le roi, lui dit des pointes, et le roi lui devrait dire : « Allez ma mignonne, vous avez l'esprit bien joli, mais vous n'êtes guère aitligée^, » Il faudrait s'entendre : les uns trouvent Chimène trop passionnée, les autres la trouvent trop froide. La vérité, c'est qu'or) doit distinguer entre le cœur et l'esprit de Chimène, qu'elle est très sincère dans son affection et dans sa passion, mais qu'elle ne peut l'être tout à fait dans le rôle que les circonstances lui imposent. Ce rôle en partie double, il faut pourtant qu'elle le joue, et, bien qu'il l'accable, elle s'efforce de le soutenir. Mais elle le soutient mal, préci- sément par ce qu'elle est trop sincère, et son réquisitoire sonne faux par endroits. On y sent une conviction moins ferme, un avcent moins chaleureux que dans le plaidoyer de don Diègue. Qu'on l'arrache à cette situation fausse, qu'on la rende à sa vraie nature, elle deviendra sans effort la Chimène qu'aime Rodrigue et qu'il a tant raison d'aimer. Quoi qu'en dise M. Guizot, il n'y a là aucune contradiction; lorsqu'elle fait son devoir, elle ne peut pas oublier sa passion; lorsqu'elle semnle céder à sa passion, elle ne veut pas oublier son devoir. Devoir, passion, tout est concilié dans le vers fameux où elle Annonce sa double résolution :

Le poursuivre, le perdre, et mourir après lui*!

Comme le remarque Voltaire, ce vers renferme toute la pièce et répond à toutes les critiques. Elle doit perdre Rodrigue, mais elle mourra de sa mort. S'il vit pourtant et si elle-même consent à vivre, c'est qu'elle a contre elle la force des choses. Du moins, elle n'a rien à se reprocher, et '.'on peut trouver même, avec Elvire, qu'elle exagère plutôt la rigueur de son devoir. « L'action d« Chimène, dit avec raison ijorneille*, n'est pas défectueuse pour ne perdre pas Rodrigue

1. Cours de littérature dramatique. Geoffroy voudrait que Chimène se reposât »nr la sagesse de son roi, de '■e loi que sa seule démarihc embarrasse si fort. Il est vrai qu'il ronclut : « Si la morale condamne Corneille, la littérature l'absout; re qui parait extravaganrR d'.ipics les lois de l'honnêteté et de la dé- cenre, est admirable sous le rap[)Oit pnotique et dramatique.» Nous ne pouvoni admettre cette distinction entre la beauté littéraire et la beauté morale.

2. Jugement du Cid composé par un bourgeois de Paris, marguillier dt M ^uroisse.

a. Cid, m, 5.

4. Discours sur la tragédie.

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