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86 LE GID

d sait Richelieu à Desmarels, que je prenne le plus de plai- sir? — A taire le bonheur de la France, Monseigneur. — Point du tout : c'est à faire des vers. » Richelieu serait-il donc le premier grand homme en qui l'on ait surpris une faiblesse de ce genre? Si quelqu'un a connu la vérité sur tous les incidents de la vie de Corneille, c'est son biographe, son neveu Fontenelle. Il tenait de la bouche même de son oncle bien des particularités qui ne s'écrivent pas, mais échappent dans l'abandon d'un entretien familier. Eh bien, Fontenelle ne semble pas même soupçonner qu'un jour l'hostilité de Richelieu puisse être mise en doute; il en parle comme d'un fait connu de tous. « Richelieu fut aussi alarmé du succès du Cid que s'il avait vu les Espagnols aux portes de Paris... Il souleva les auteurs contre cet ouvrage, ce qui ne dut pas être fort difficile, et il se mit à leur tête ^ » Un tel accord des témoignages est instructif : car les témoins prudents ont pu ne pas dire la vérité tout entière, les témoins prévenus ont pu l'exagérer; mais, diverses de forme et de ton, leurs dépositions, pour le fond, sont identiques, et l'on attribuera toujours plus de valeur aux souvenirs des contem- porains qu'aux inventions hasardées depuis par la critique. Croyons donc, avec les uns, que Richelieu a gardé quelques ménagements envers Corneille; avec les autres, i^ue son ini- mitié, pour être secrète, n'en a pas été moins réelle, ni moins dangereuse.

Il est vrai qu'il faut faire aussi la part des torts de Cor- neille; mais il ne faut point la faire trop large. En toute cette affaire, Corneille n'a été, ni le héros stoïque qu'on se figure volontiers en Tassimilant aux personnages créés par lui, ni le serviteur docile et craintif d'une volonté im[-é- rieuse, qu'il éludait le plus souvent, sans la braver. Il n'a jamais pris et ne pouvait pas prendre vis-à-vis de Richelieu des airs de matamore; mais il a toujours su garder sa dignité intacte, conserver la faveur du public qu'il avait tout d'abord conquise, parfois même, lorsqu'il en était besoin, mettre les rieurs de son côté. En tout cas, il ne fut pas l'agresseur, et fit tout pour épargner à ses envieux la joie d'assister a la lutte inégale du grand ministre et de l'avocat normand. De là cette dédicace du Cid à la nièce tant aimée du cardinal, à M™^ de Combalet, plus tard duchesse d'Aiguillon. C'est de l'habileté peut-être, ce n'est pointa coup sûr de l'hypocrisie. Rien n'annonce encore la guerre qui va se déchaîner bientôt.

��I. Vie de ComÀtU.

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