Page:Corneille Théâtre Hémon tome1.djvu/271

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INTRODUCTION « 

outrageantes, prononcez, ô mes juges, un arrêt digne de 70vt%, et qui fasse savoir à toute l'Europe que le Cid n'est point le chef-d'œuvre du plus grand homme de France, mais oui bien la moins judicieuse pièce de M. Corneille même. »

C'est sur ce ton que Scudéry invitait l'Académie à prononcer entre lui et Corneille. Le premier engagement ne lui avait pas été avantageux, et la Lettre apologétique l'avait blessé dans son orgueil. En s'adressant à l'Académie, en lui envoyant coup sur coup et sa Lettre, et La preuve des pas- sages allégués dans les Observations sur le Cid (1637), Scudéry croyait faire un coup de maître : il satisfaisait ainsi tout ensemble, et à sa propre rancune, et à celle de Richelieu, qui attendait un prétexte pour éclater, et peut-être à celle de plusieurs académiciens, mécontents que Corneille eût écrit un chef-d'oeuvre sans leur permission et l'eût fait réussir contre toutes les règles. Comment supposer que cette assemblée, nouvellement façonnée par la main du cardinal et peuplée de ses créatures, ne saisirait pas avec joie l'occasion qui s'offrait de lui prouver son dévouement?

Mais les corps constitués ont leur esprit propre, qu'ils n'aliènent pas si aisément. D'instinct, l'Académie sentait combien était dangereux le rôle qu'on voulait lui imposer. Plus son établissement était récent, plus elle devait craindra de le compromettre « par un jugement qui peut-être déplai- rait aux deux partis, et qui ne pouvait manquer de désobli- ger pour le moins un, c'est-à-dire une grande partie de la France ' ». A cette raison déjà sérieuse elle en ajoutait une autre, qu'elle croyait décisive. L'article 45 de ses statuts était ainsi conçu : « L'Académie ne jugera que des ouvrages de cpux dont elle est composée et, si elle se trouve obligée par quelque considération d'en examiner d'autres, elle don- nera seulement ses avis sans en faire aucune censure, et sans en donner aussi d'approbation*. » Si on lui demandait de critiquer Corneille contrairement aux statuts, au moins fallait- il s'assurer au préalable de l'acquiescement de l'auteur, et attendre sa prière.

De ces deux motifs le cardinal ne comprit pas l'un et se hâta de faire disparaître l'autre. Lui qui, dans les questions les plus redoutables, s'inquiétait si peu de l'opinion publique, il devait trouver étrange que les académiciens s'en montrassent

1. Histoire de F Académie françaite.

2. En vérifiant les lettres-patentes qui instituaient l'Académie, le Parlement y avait ajouté cette clause plus positive encore : Que les académiciens ne connaî- traient que des livres qui auraient été faits par eux et par autres personnes qui le désireraient. Voir M. Mesnard. Histoire de l'Académie.

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