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98 LE CID

préoccupés à propos d'une pièce de théâtre. Il n'admettait

guère que Corneille pût refuser son consentement à ceux qui le lui demanderaient au nom du cardinal d'abord, de l'Aca- démie ensuite. Pour qu'aucun doute ne fût possible, il fit insinuer d'abord, signifier ensuite ses désirs au poète par t.'abbé de Boisrobert. A Normand, Normand et demi. On regrette de n'avoir pas conservé la correspondance échangée entre les deux compatriotes. D'après ce que Pellisson nous en laisse entrevoir, Corneille feignait de ne pas comprendre, de voir en Boisrobert le représentant de l'Académie, et non du cardinal. Il faisait remarquer « que cette occupation n'était pas digne de l'Académie. Qu'un libelle qui ne méri- tait point de réponse ne méritait point son jugement. Que la conséquence en serait dangereuse, parce qu'elle autoriserait l'envie à importuner ces messieurs, et qu'aussitôt qu'il aurait paru quelque chose de beau sur le théâtre, les moindres poètes se croiraient bien fondés à faire un procès à son auteur par devant leur compagnie*. » Puis, vint le moment où il fallut bien comprendre, et laisser tomber cette appa- rence de consentement, qui est plutôt un aveu de lassitude : « Messieurs de l'Académie peuvent faire ce qu'il leur plaira, puisque vous m'écrivez que Monseigneur serait bien aise d'en voir leur jugement, et que cela doit divertir Son Eminence, je n'ai plus rien à dire. » Pellisson, qui cite ce fragment de lettre, ajoute : « Il n'en fallait pas davantage, au moins sui- vant l'opinion du cardinal, pour fonder la juridiction de l'Académie, qui pourtant se défendait toujours d'entreprendre ce travail; mais enfin il s'en expliqua ouvertement, disant à un de ses domestiques : « Faites savoir à ces messieurs que je le désire, et que je lei aimerai comme ils m'aimeront ^ ». Ce « domestique », on le voit dans la suite du récit, était l'inévitable Boisrobert.

Trop impatient, Richelieu s'était trop tôt découvert, en face de Corneille qui se réservait et de l'Académie qui multipliait les retards. Le beau rôle, il faut bien l'avouer, n'était pas pour le ministre : il était pour ce poète qui cédait à la force, le faisait sentir et obéissait sans se soumettre; il était aussi pour ce petit corps littéraire, né d'hier, qui n'avait point i^ncore derrière lui de passé glorieux, que devait tenter cette occasion unique d'affermir son autorité, et qui pourtant, pris de scrupules honorables, se refusait à jouer entre les mains du grand ministre le rôle d'un instrument docile. Alors même

i. Pellisfon, ffittoire da l'Académie franfain. S. Ibid.

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