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Page:Corneille Théâtre Hémon tome1.djvu/277

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INTRODUCTION 103

pièce « qui lient encore les esprits divisés, et qui n'a pas plus causé de plaisir que de trouble »? Elle lient à le dire, et le dil lon,ffueraent, rappelant ses hésitations premières, sa ré- sistance prolongée; enfin, « elle a fait céder, bien qu'avec regret, son inclination et ses règles aux instantes prières qui lui ont été faites sur ce sujet ». La charge qu'elle s'impose est double : elle doit examiner à la fois le Cid de Corneille et les Observations de Scudéry; aussi suivra-t-elle l'ordre suivi par Scudéry, bien qu'elle le juge défectueux.

Sur le sujet de la pièce, elle na point de peine à prouver contre Scudéry qu'il y a dans le Cid une intrigue, et une in- trigue intéressante; mais, comme effrayée de cette révolte d'indépendance, elle se hâte d'accorder que ce sujet est in- vraisemblable et immoral : « Il y aurait eu moins d'incon- vénient de feindre, contre la vérité, ou que le comte ne se fût pas trouvé à la fin le véritable père de Chimène, ou que, contre l'opinion de tout le monde, il ne fût pas mort de sa blessure, ou que le salut du roi ou du royaume eût absolu- ment dépendu de ce mariage, pour compenser la violence que souffrait la nature en cette occasion par le bien que le prince et son état en recevraient : tout cela aurait été plus pardonnable que de porter sur la scène l'événement tout pur et tout scandaleux, comme l'histoire le fournissait. Mais le plus expédient eût été de n'en point faire de poème drama- tique. » Voilà qui est parler net : il ne fallait pas écrire le Cid! Qu'importe, après cela, que l'Académie juge, contraire ment à Scudéry, que Corneille avait le droit de choisir un sujet historique et de modifier l'histoire à son gré? Puisque le sujet lui-même est condamné, qu'importent les éloges ou les critiques de détail? Il est facile de l'observer, d'ailleurs : c'est dans le détail que l'Académie donne tort à Scudéry, pour lui donner raison en gros. Comme lui, elle ne comprend ni Chimène. ni Rodrigue : Chimène est « amante trop sensible et fille trop dénaturée... Il faut avouer que ses mœurs sont du moins scandaleuses, si en effet elles ne sont dépravées... Nous la blâmons de ce que son amour l'emporte sur son de- voir, et qu'en même temps qu'elle poursuit Rodrigue, elle fait des vœux en sa faveur. « Par contre, chez Rodrigue, le devoir l'emporte absolument sur l'amour, à tel point qu'il oublie Chimène, devient son ennemi, ne songe plus qu'à sa vpii'.'f'finoe, et sans nécessité, cesse d'être amant pour paraître stMili'iiii'nt homme d'honneur. Ainsi ce combat du devoir et de la [)assion, qui fait à nos yeux la principale beauté du drame cornélien, n'existe pas aux yeux de l'Acidémie!

On ne refera pas ici, après Scudéry, après l'Académie, qui

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