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XVI BIOGRAPHIE DE CORNEILLE

rieur d'une dizaine d'années. Mais comment les séparer? Les deux frères épousèrent les deux sœurs et, coïncidence plus curieuse, entre les deux sœurs existait la même différence d'âge (vingt ans) qu'entre les deux frères; Marie et Marguerite de Lampérière eurent, de plus, exactement le même nombre d'enfants. Leurs biens restèrent indivis, et les deux ménages n'eurent qu'un foyer. Il s'est même formé à ce sujet une légende touchante qu'on n'a pas le courage de contester, et qui, d'ail- leurs, est vraie dans ses traits généraux. L'excellent Ducis, ému de ce bonheur bourgeois et de cette union fraternelle, a décrit l'intérieur paisible où le génie de Corneille se retrempait, et d'où il sortait plus fort :

Les deux maisons n'en faisaient qu'une; Les clefs, la bourse étaient communes Les femmes n'étaient jamais deux. Tous les vœux étaient unanimes; Les enfants confondaient leurs jeux, Les frères se prêtaient leurs rimes, Le même vin coulait pour eux *.

« 11 me semble, écrivait-il ~, à force de les aimer, que je suis presque de leur famille. » Et il ne se trompait guère. Mais un Ducis, quelles que soient les qualités de son esprit et de son cœur, nous apparaît volontiers sous ces traits familiers, dans un cadre modeste. Le grand Corneille homme d'intérieur et père de famille, voilà qui nous surprend davantage. On vou- drait trouver dans les écrits de Corneille lui-même quelque souvenir ému d'un tel bonheur domestique; mais les poètes de ce temps-là étaient discrets, et la spirituelle boutade de Doudan pourrait s'appliquer à M"' Corneille autant qu'à M°" Racine : « Avez-vous souvent pensé aux cheveux blonds ou bruns de M"" Racine? Avait-elle des cheveux? »

C'est dans ce milieu seulement qu'il se sentait tout à fait à l'aise. Il faut l'y suivre, si l'on veut mieux comprendre deux traits souvent exagérés de son caractère : un certain amour de l'argent, une certaine gaucherie naturelle. La Bruyère a réuni ces deux traits dans un portrait classique, écrit six ans après la

��1. Ducis : Les botines femmes, ou le Ménage des deux Corneille.

2. Lettre à Le Mercier, t. IV, p. 3'il, des œuvres de f)ucis.

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