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ETUDE D'ENSEMBLE xvii

mort du poète : • Un homme est simple, timide, d'une ennuyeuse conversation; il prend un mot pour un autre, et il ne Juge de la bonté de sa pièce que par Vargent qui lui en revient; il ne sa't pas la réciter, ni lire son écriture. Laissez-le s'élever par la compo?ition : il n'est pas au-dessous d'Auguste, de Pompée, de Nicomède, d'Héraclius; il est roi, et un grand roi; il est politique, il est philosophe; il entreprend de faire parler des héros, de les faire agir; il peint les Romains; ils sont plus grands et plus Romains dans ses vers que dans leur histoire •. . L'éloge est beau, mais la critique est forcée, et l'on sent la préoccupation de l'antithèse. A qui fera-t-on croire qu'il fût si mauvais juge de ses pièces, l'homme qui, si ingénument, dans ses Examens, nous en fait admirer les beautés et nous en détaille les défauts?

Un témoignage de Segrais semble confirmer celui de La Bruyère : » Corneille ne sentait pas la beauté de ses vers 2. » Mais on a cité parfois ce mot sans le comprendre. Cet admira- teur exclusif du vieux Corneille en face du jeune Racine, ce délicat qui savait aimer les poètes virils, et qui, à l'Académie, se levait avec vénération devant celui qu'il croyait « échappé aux Cornéliens de Rome », Segrais ne cesse de répéter que Cor- neille (c'est là sa grande supériorité à ses yeux) est poète par nature, par instinct, presque sans se douter de son génie. Cette sorte d'inconscience se manifestait surtout lorsque Corneille lisait ses vers, et Segrais a voulu dire qu'il n'en paraissait pas sentir les beautés. C'est aussi ce que dit Boisrobert, qui reproche à Corneille de « barbouiller » ses vers. C'est ce que confirme Fontenelle : « Sa prononciation n'était pas tout à fait nette; il lisait ses vers avec force, mais sans grâce. » C'est ce qu'avoue enfin Corneille lui-même :

Et l'on peut rarement m'écouter sans ennui

Que quand je me produis par la bouche d'aulrui *.

Des critiques de La Bruyère, deux subsistent : Corneille était âpre au gain, timide et gêné dans le monde. Encore convient-il de ne pas trop prendre au sérieux la première. Le mot de Cor-

��1. Des Jugements, éd. des Grands Écrivains, t. II, p. 101.

2. Mémoires-Anecdotes.

3. Vers insérés dans une lettre à Pellisson.

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