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AVERTISSEMENT 147

erreurs qui s'y sont glissées touchant celte tragédie, et qui semblent avoir été autorisées par mon silence. La première îst que j'aye convenu de juges touchant son mérite, et m'en sois rapporté au sentiment de ceux qu'on a priés d'en juger. Je m'en tairais encore, si ce faux bruit n'avait été jusque chez M. de Balzac dans sa province, ou, pour me servir de ses paroles mêmes, dans son désert, et si je n'en avais vu depuis peu les marques dans cette admirable lettre qu'il a écrite sur ce sujet, et qui ne fait pas la moindre richesse des deux derniers trésors qu'il nous a donnés *. Or, comme tout ce qui part de sa plume regarde toute la postérité, mainte- nant que mon nom est assuré de passer jusqu'à elle dans cette lettre incomparable, il me serait honteux qu'il y passât avec cette tache et qu'on pût à jamais me reprocher d'avoir compromis de ma réputation ^.

C'est une chose qui jusqu'à présent est sans exemple ; et de tous ceux qui ont été attaqués comme moi, aucun que je sache n'a eu assez de faiblesse pour convenir d'arbitres avec ses censeurs ; et s'ils ont laissé tout le monde dans la liberté publique d'en juger, ainsi que j'ai fait, c'a été sans s'obliger, non plus que moi, à en croire personne. Outre que, dans la conjoncture où étaient lors les affaires du Cid, il ne fallait pas être grand devin pour prévoir ce que nous en avons vu cirriver. A moins que d'être tout à fait stupide, on ne pouvait pas ignorer que, comme les questions de cette nature ne concernent ni la religion ni l'état, on en peut décider par les règles de la prudence humaine, aussi bien que par celles du théâtre, et tourner sans scrupule le sens du bon Aristote du côté de la politique 3. Ce n'est pas que je sache si ceux qui ont jugé du Cid en ont jugé suivant leur sentiment ou non, ni même que je veuille dire qu'ils en aient bien ou mal jugé, mais seulement que ce n'a jamais été de mon consen- tement qu ils en ont jugé, et que peut-être je l'aurais justifié sans beaucoup de peine, si la même raison* qui les a fait parler ne m'avait obligé à me taire. Aristote ne s'est pas expliqué si clairement dans sa Poétique, que nous n'en puis-

1. Voyez la page 111 de l'Introduction ; Corneille fait allusion ici aux Lettrée choisies du sieur de Balzac, 1647.

2. Compromis de ma réputation. Compromettre de, exposer sa dignité à rece- voir une diminution. C'est le seul exemple de cette locution cité dans ^e Lexique de l'éd. Régnier.

3. Du côté de la politique, c'est-à-dire du côté de la politique de celui qui mterprète le texte d'Aristote, du côté de ses opinions et de ses intérêts, comme t'explique l'éd. des Grands Ecrivains.

4. Ne m'avait obligé à me taire.. On devine cette raison, sans qu'il soit besoin 4» préciser. Voir, dans notre Introduction, l'histoire de la qvorelle du Cid,

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