ACTE I, SCÈNE II 171
Je vous blâmais tantôt, je vous plains à présent.
Mais puisque dans un mal si doux et si cuisant
Voire vertu combat et son charme et sa force,
En repousse l'assaut, en rejette l'amorce, 130
"ïlle rendra le calme à vos esprits flottants.
ispérez donc tout d'elle et du secours du temps
Espérez tout du Ciel : il a trop de justice
Pour laisser la vertu dans un si long supplice.
l'infante.
Ma plus douce espérance est de perdre l'espoir. 1 33
LE PAGE.
Par vos commandements Chimène vous vient voir.
l'infante, à Léonor. Allez l'entretenir en cette galerie.
128. Corneille prend très souvent cuisant au figuré , il dlrv. dans Cinna de « cuisants malheurs » (40), et « mille remords cuisants » (803).
130. Une amorce, c'est un appât, au propre et au figuré; au xvii' siècle, on disait amorce de tout ce qui peut amorcer, attirer, séduire ; voyez les vers 984 d'Horace, 1681 de Cinna, 1333 de Pompée. Boileau lui-même a dit :
Craignez d'un vain plaisir les trompeuses amorces. {Art poétique, I.)
131. Vos esprits, pluriel très fréquent chez Corneille pour le singulier.
Ainsi que la naissaace, ils ont les esprit» bas. {Pompée, 11(6.) Flottants, incertains. Ce vers est presque mot à mot reproduit dans Cinna,- Pour rendre le calme à ton esprit flottant. . . (1016.)
134. Var. Pour souffrir la vertu si longtemps an supplice. (1637-56.)
135. « Ce vers, si je ne me trompe, n'est pas loin du galiraatbias, » dit Scudéry, qui, cette fois, a raison. L'Académie dit au contraire: « Ce vers est beau, et l'observateur l'a mal repris, pour ce qu'elle ne pouvait rien espérer de plus avantageux pour sa guérison que de voir Rodrigue tellement lié à Chi- mène, qu'elle n'eût plus lieu d'espérer sa possession. » Mais l'Académie ne s'at- tache qu'au sentiment, et Scudéry critique l'alTectation de la forme, ce cliquetis de mots, digne en tout point qu'on le continue par la fameuse antithèse du sonnet d'Oronte :
Belle Philis, on désespère Alors qu'on espère tonjoors.
Rotrou a dit, avec un sens différent :
Un grand espoir manquant est on grand désespoir.
{Helle Alphréde, IV. 1.)
Ces traces du mauvais goût régnant sont trop visibles encore dans le Cid. 135. Par vos commandements, par votre ordre. Corneille aime ces plu- wls :
Cet amour qui m'expose à vos ressentimeats
N'est point le prompt effet de vos commandement», {Cinma, inS.]
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