Jeune présomptueux !
Je suis jeune, il est vrai, mais aux âmes[1] bien nées
La valeur n’attend point le nombre des années[2].
Te mesurer à moi ! Qui t’a rendu si vain[3],
Toi qu’on n’a jamais vu les armes à la main ?
Mes pareils à deux fois ne se font pas connaître,
Et pour leurs coups d’essai veulent des coups de maître[4].
Sais-tu bien qui je suis ?
Au seul bruit de ton nom[5] pourrait trembler d’effroi.
- ↑ Aux âmes, dans les âmes ; au vers 1100, à sera pris encore dans ce sens. — Bien nées, généreuses, car généreux (genus, generosus, γένος, εὐγένης), c’est tout à la fois à l’origine l’homme de grande naissance et de grand cœur.
- ↑
La valeur n’attend pas le nombre des années. (1637, n. 13 et 38.)
Du Vair, cité par M. Marty-Laveaux, dit dans sa quatorzième Harangue funèbre : « La vertu aux âmes héroïques n’attend pas les années ; elle fait ses progrès tout à coup. » Corneille s’est-il souvenu de Guillaume Du Vair ? Il avait plutôt sous les yeux le Romancero, où, dans cette même situation, Rodrigue n’hésite pas davantage : « Il s’inquiète de sa jeunesse, car, dès l’enfance, le vaillant hidalgo est tout préparé à mourir pour les occasions d’honneur. C’est ce que Corneille lui-même redira plus tard en ce beau vers :
Le corps attend les ans, mais l’âme est toute prête. (Attila, 581.)« Les enfants des dieux, pour ainsi dire, se tirent des règles de la nature et en sont comme l’exception : ils n’attendent presque rien du temps et des années. Le mérite devance l’âge. (La Bruyère, Du mérite personnel.)
- ↑
Var. Mais t’attaquer à moi ! qui t’a rendu si vain ? (1637-56.)
- ↑
Ce sont des coups d’essai, mais si grands que peut-être
Le Capitole a droit d’en craindre un coup de maître, (Nicomède, 920.)
Vous n’avez entendu jamais rien de charmant
Comme ce monsieur Tallemant.
C’est la première fois qu’il entre dans la chaire.
Mais Corneille, qui l’entendit
Prêcher en homme extr’ordinaire,
Dit pour lui ces deux vers que le Cid avait dit :
Qu’à deux fois ses pareils ne se font pas connaître,
Et pour leurs coups d’essai veulent des coups de maître.(Subligny, Muse Dauphine, 1667, p. 90.) - ↑ Au seul bruit de ton nom, au seul bruit que fait ton nom, au seul reten-