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Page:Corneille Théâtre Hémon tome1.djvu/392

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le cid


Ce sang pour vous servir prodigué tant de fois,
Ce bras, jadis l’effroi d’une armée ennemie,
Descendaient au tombeau tous chargés d’infamie,
Si je n’eusse produit un fils digne de moi, 715
Digne de son pays et digne de son roi.
Il m’a prêté sa main, il a tué le comte ;
Il m’a rendu l’honneur, il a lavé ma honte[1].
Si montrer du courage et du ressentiment,
Si venger un soufflet mérite un châtiment, 720
Sur moi seul doit tomber l’éclat de la tempête[2]:
Quand le bras a failli, l’on en punit la tête.[3]
Qu’on nomme crime ou non ce qui fait nos débats,[4]
Sire, j’en suis la tête, il n’en est que le bras.
Si Chimène se plaint qu’il a tué son père, 725
Il ne l’eût jamais fait, si je l’eusse pu faire.
Immolez donc ce chef[5] que les ans vont ravir,
Et conservez pour vous le bras qui peut servir.
Aux dépens de mon sang satisfaites Chimène :
Je n’y résiste point, je consens à ma peine;730
Et loin de murmurer d’un rigoureux décret,[6]


    Par suite, endosser le harnois, c’était embrasser la profession des armes ; Corneille avait employé dans le Cid cette locution, qu’il supprima ensuite (v. 1620, Var.). Blanchi sous le harnois signifie donc : vieilli dans le métier des armes, au propre, et, au figuré, vieilli dans une profession : « Vous qui avez blanchi, comme on dit, sous le harnais ». (Molière, Pourceaugnac, I, 11). Comme on le voit par cette dernière citation, l’on écrivait également harnais et harnois, prononciation qu’Estienne déclare préférer de beaucoup, comme plus virile. Voyez le Dictionnaire Littré au mot harnais.

  1. 718. Il a lavé ma honte. Dans l’espagnol, ce n’est pas métaphoriquement que don Diègue a pu laver sa honte dans le sang du Comte, car, en se présentant devant le roi, il montre sa joue rougie, où le sang du mort a effacé la trace du soufflet, comme Chimène agite un mouchoir trempé dans le sang de son père.
  2. 721. Nous croyons que l’éclat de la tempête signifie : la tempête qui va éclater et frapper le coupable. « Moi seul je dois être frappé », s’écrie don Diègue. Corneille emploie souvent, en effet, éclat en ce sens :
    Qu’il gouverne à son gré l’éclat de son tonnerre ! (Andromède, 1035.)

  3. 722. Dans le Sermon pour la Toussaint, prononcé au début de la période de Metz, Bossuet met en prose le vers de Corneille, et fait dire à Jésus s’offrant à son père pour le rachat des péchés de l’homme : « Quand les bras ou les autres membres ont failli, c’est assez de punir le chef. »
  4. 723. Var.  Du crime glorieux qui cause nos débats. (1637–56.)

    « Des crimes ne peuvent avoir ni tête ni bras », avait dit l’Académie : la même critique ne peut-elle pas s’appliquer à cette froide abstraction ; ce qui cause nos débats ? Mais la pensée est claire, et le mouvement si entraînant qu’on ne s’arrête pas à ces faiblesses.
  5. 727. Sur chef pour tête, voyez la note du vers 598 et le vers 1372.
  6. 731. Var.  Et loin de murmurer d’un injuste décret. (1637–56.)