Page:Corneille Théâtre Hémon tome2.djvu/196

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M CINNa

Dans les conférences qu'il fallut avoir pour conduire cette af- faire, les cœurs s'unirent aussi bien que les esprits, mais ce ne fut que pour animer davantage la conspiration, et jamais Emilie ne se promit à Cinna qu'à condition qu'il se donnerait tout entier à leur entreprise. Ils conspirèrent donc avant que de s'aimer, et leur passion, qui mêla ses inquiétudes et ses craintes à celles qui suivent toujours les conspirations, de- meura soumise au désir de la vengeance et à l'amour de la liberté. Comme leur dessein était sur le point de s'exécuter, Cinna, se laissant toucher à la confiance et aux bienfaits d'Au- guste, fit voir à Emilie une âme sujette aux remords et toute prête échanger de résolution; mais Emilie, plus Romaine que Cinna*, lui reprocha sa faiblesse et demeura plus ferme- ment attachée à son dessein que jamais. Ce fut là qu'elle dit des injures à son amant; ce fut là quelle imposa des condi- tions que vous n'avez pu souffrir, et que vous approuverez, Madame, quand vous vous serez mieux consultée. Le désir de la vengeance fut la première passion dEmilie; le dessein de rétablir la république se joignit au désir de la vengeance; l'amour fut un effet de la conspiration, et il entra dansl'âm» des conspirateurs plus pour y servir que pour y régner :

Joignons à la douceur de venger nos parents La gloire qu'on remporte à punir les tyrans. Et faisons publier par toute l'Italie : La liberté ae Rome est l'œuvre d'Emilie. On a touché son âme, et sou cœur s'est épris; Mais elle n'a donné son amour qu'à ce prix.

Vous êtes née à Rome, Madame, et vous y avez reçu l'âme des Porcie et des Arrie, au lieu que les autres qu'on y voit naître n'y prennent que le génie des Italiens. Avec cette âme toute grande, toute romaine, si vous viviez aujourd'hui dans une république qu'on opprimât, si vos parents y étaient pros- crits, votre maison désolée, et, ce qui est le plus odieux à une personne libre, si votre égal était devenu votre maître, ce couteau que vous avez acheté pour vous tuer, quand vous ver- rez la ruine de votre patrie, ce couteau ne se serait-il pas essayé contre le tyran, avant que d'être employé contre vous» même? Vous conspireriez sans doute, et un misérr.ble amant qui voudrait vous inspirer la faiblesse d'un repentir serait traité plus durement p£u: Hortense que Cinna ne le fut oar Emilie. »

1. On volt qu'Eniilie est pour les hommes du ivn» siècle la véritable héroïne, fu plutôt le véritable héros de la pièce. Voyez la Dissertation sur l'Alexandre <• Jiacine, citée page 25.

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