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14 CINNA

choses d'ailleurs manquaienl aux Allemands pour comprendre tout à fait Cinna.

Avouons-le : en France même, Cinna n'était pas toujours bien compris. Non seulement on se permettait de le mutiler et de retrancher, par exemple, avec le rôle de Livie, le mono- logue d'Emilie, au début du premier acte, rétabli plus tard, grâce à Voltaire*; mais Voltaire lui-même et ceux qui, à sa suite, admiraient ce beau tableau politique et humain, l'ad- miraient peut-être pour d'autres raisons que nous. En gros, il approuvait tout, et s'écriait, avec un accent sincère : « Corneille, ancien Romain parmi les Français, a établi une ê«;ole de grandeur d'âme. » Mais, dès qu'il entre dans le par- ticulier, il s'égare dans de misérables chicanes. L'Académie elle-même, assez satisfaite de ses Commentaires sur le Cid et Horace, l'était peu des Remarques sur Cinna : « Il nous a semblé, lui écrivait d'Alembert, que vous n'insistiez pas tou- jours assez sur les beautés de l'auteur, et quelquefois trop sur des fautes qui peuvent n'en pas paraître à tout le monde. » A la même époque, il écrivait lui-même à Duclos^ : « Je pense avec l'Académie que c'est à Auguste qu'on s'intéresse pendant les deux derniers actes; mais certainement dans les premiers Cinna et Emilie s'emparent de tout l'intérêt, et, dans la belle scène de Cinna et d'Emilie où Auguste est rendu exécrable, tous les spectateurs deviennent autant de conjurés au récit des proscriptions. Il est donc évident que l'intérêt change dans cette pièce, et c'est probablement pour cette raison qu'elle occupe plus l'esprit qu'elle ne touche le cœur... Je regarde Cinna comme un chef-d'œuvre; quoiqu'il ne soit pas de ce tragique qui transporte l'âme et qui la dé- chire, il l'occupe, il l'élève. La pièce a des morceaux sublimes; elle est régulière, c'en est bien assez. »

Ce ton est celui d'une admiration tempérée. Écho docile du maître, La Harpe le répète avec complaisance et trouve bon d'enchérir encore sur lui : « Ces défauts dans les caractères, les invraisemblances de l'un et les ridicules de l'autre achèvent de détruire l'intérêt de l'action, dont les ressorts ne sont plus tragiques. Que reste-t-il donc pour soutenir la pièce jusqu'au cinquième acte? Le seul intérêt de curiosité : c'est un grand événement entre de grands personnages. » Ainsi, ia passion avec laquelle nous nous attachons d'abord au parti des conju- rés, l'étonnement profond et dramatique qui s'empare de nous

I. M. Horion a donc tort, dans son Explication du théâtre elassiqu», d'écrira que « Voltaire approuve ces coupures ». S. Lettre du 25 décembre 176i.

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