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Mais il n'est pas davantage un personnage de pure fantaisie. C'est Auguste tel qu'il devrait être, soit; mais, c'est aussi Auguste tel qu'il put être, quand il ne fut plus Octave ; car « les cruautés d'Octave sont dans l'avant-scène ; les vertus d'Auguste occupent le théâtre' ». Avec un sûr instinct des nécessités dramatiques, le poète préfère à l'Auguste historique, qui nous eût troublés et refroidis, l'Auguste héroïque, qu'il admire et qu'il nous fait admirer. A mesure qu'il le considère, toutes les imperfections, toutes les taches disparaissent; seule, la clémence du maître du monde reste en relief. C'est l'essence même du drame d'exagérer le côté unique d'un caractère et de ne voir que la vertu dominante.

Plus tard, l'histoire a repris ses droits, et le xvni^ siècle n'a pas vu Auguste des mêmes yeux que le xvii^. J.-J. Rousseau le donne même comme un exemple des funestes effets de l'am- bition : « L'infortuné, dit-il, voulut gouverner le monde et ne sut pas gouverner sa maison 2». Montesquieu, comprenant moins bien que Corneille cette politique qui fait de la vertu comme du vice un instrument de règne, jette çà et là quelques traits épars, souvent profonds, dont l'ensemble n'est pas bien net ni bien saisissant, et parfois se contente d'une épigramme : « Il n'est pas impossible que les choses qui le déshonorèrent le plus aient été celles qui le servirent le mieux. » Il s'attarde à nous énumérer toutes les petites hypocrisies du personnage. Ce portrait d'Auguste en désha- billé manque de grandeur, sinon de vérité ^ ; la vérité su- périeure, c'est Corneille qui Ta devinée ; Montesquieu l'en- trevoit à peine quand il écrit: « Lorsque Auguste fut une fois le maître, la politique le fit travailler à rétablir l'ordre, pour faire sortir le bonheur du gouvernemeni d'un seul. » Telle est la puissance du génie créateur que le Machiavel couronné peint par Montesquieu éveille notre surprise, presque notre défiance ; l'Auguste réel ne nous paraît plus vraisemblable, tant notre imagination est hantée pai' l'image d'un autre Auguste, le seul qui vive désormais dans la mémoire des hommes.

Dès qu'on examine Auguste au seul point de vue drama- tique, tous les lieux communs, chimériques pour la plupart,

1. Geoffroy, Cours de littérature dramatique.

». Emile, IV.

3. II y a bien de la finesse pourtant dans certains passages, tels que celui-ci ; « Lorsque Auguste avait les armes à la main, il craignait les révoltes des soldats et Qon pas les conjurations des citoyens ; c'est pour cela qu'il ménagea les pre- miers et fut si cruel aux autres. Lorsqu'il fut en paix, il craignit les conjuratioaf et, ayant toujours devant les yeux le destin de César, pour éyiter son sort, «ongea à «éloigner de sa conduite. »

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