Page:Corneille Théâtre Hémon tome2.djvu/26

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

tantôt la fierté plus qu'humaine de son indignation paternelle ? A tous les actes de la vie civile et publique préside une divinité protectrice ou menaçante, dont il faut se conserver la faveur ou désarmer le courroux. Les sacrifices, sans cesse multipliés, sont un tribut qu'on lui doit et qu'elle attend : c'est pour consulter la volonté divine que le combat est suspendu: c'est parce que la volonté divine a prononcé que le combat s'engage 1. Horace a-t-il vaincu ? qu'un sacrifice en remercie les dieux. A-t-il égorgé sa sœur ? qu'un sacrifice expiatoire les apaise 2. C'est ce qui a fait dire, fort justement, à M. Desjardins 3, qu'Horace était la peinture du « patriotisme religieux sous les premiers rois de Rome ».

Si voisine d'ailleurs qu'elle soit du fatalisme, cette foi enthousiaste et absolue n'annihile pas la volonté humaine. Appuyée précisément sur la religion, — puisque le père est avant tout le représentant de la religion domestique, — l'autorité paternelle nous apparaît comme sacrée. « Rien, dans notre société moderne, ne peut nous donner une idée de cette puissance paternelle. Dans cette antiquité, le père n'est pas seulement l'homme fort qui protège et qui a aussi le pouvoir de se faire obéir; il est le prêtre, il est l'héritier du foyer, le continuateur des aïeux, la lige des descendants, le dépositaire des rites mystérieux du culte et des formules secrètes de la prière. Toute la religion réside en lui... Le droit de justice que le père exerçait_dans sa maison était complet et sans appel. Il pouvait condamner à mort, comme faisait le magistrat dans la cité ; aucune autorité n'avait le droit de modifier ses arrêts 4. « Le fils était donc, selon le terme juridique, in manu, in potestate patris, et, tant que son père vivait, il restait en puissance, quels que fussent d'ailleurs son âge et sa dignité. Même consul, il n'était pas affranchi : vel consul renia- net in polesUitc patris, disent les Institutes. C'est seulement après la mort du père qu'il commence de s'appartenir à lui-même, sui juris fit. Jusque-là, il ne peut ni posséder ou gagner pour lui-même, puisqu'il est dans la main d'un autre, ni tester, puisqu'il ne possède rien, et qu'au contraire il est possédé, à peu près au même titre qu'un objet mobilier dont on peut se défaire en le vendant 5. Cette toute-puissance

1. Horace, III, 5.

2. Ibid., III, 6; V, 3.

3. Le grand Corneille historien.

4. Fustel de Coulanges, la Cité antique, II, 8.

5. Ce droit de vente, qui plus tard devint illusoire, était d'abord absolu. C'est la loi des Douze Tables qui apporta la première restriction à l'autorité paternelle, en stipulant qu'après trois ventes le fils serait libre.