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82 CINNA

Leur front pâlir d'horreur et rougir de colère.

.( Amis, leur ai-je dit, voici le jour heureux

Qui doit conclure enfin nos desseins généreux;

Le ciel entre nos mains a mis le sort de Rome, 165

Et son salut dépend de la perte d'un homme,^

Si l'on doit le nom d'homme à qui n'a rien d'humain,

A. ce tigre altéré de tout le sang romain.

Combien pour le répandre a-t-il formé de brigues!

Combien de fois changé de partis et de ligues, 170

Tantôt ami d'Antoine, et tantôt ennemi,

Et jamais insolent ni cruel à demi ! »

Là. par un long récit de toutes les misères

Que durant notre enfance ont enduré nos pères,

Renouvelant leur haine avec leur souvenir, 175

Je redouble en leurs cœurs l'ardeur de le punir.

162 « On raconte que lorsque Michel Baron reparut, au mois de mars 1720, à Vise de soiiante-huit ans, dans le rôle de Cinna, on le vit dans la même minute pâlir et rougir comme le \ers l'indiquait. Larive, dans son Cours de déclama- tion nie obstinément la possibilité du fait : il semble toutefois que les comédiens du l'vn» siècle aient eu le secret de pâlir à volonté. Tallemand dit en parlant de Floridor : « II est toujours pâle; ainsi point de changement de visage. » (Note de l'édition Régnier).

163. « Ce discours de Cinna est un des plus beaux morceaux d éloquence que nous ayons dans notre langue. » (Voltaire.)

164 Conclure étonne Voltaire, qui propose dy substituer remplir; tout en jugeant la correction malheureuse, M. Marty Laveaux n'est pas loin d'approuver la critique. Pourtant le latin claudere, includere, concludrre se dit, non seule- ment du vers ou du poème qu'on termine, mais de toute chose qu'on achevé. Usant à son tour de ce latinisme, Chateaubriand écrit : « conclure une épopée. » Chez Corneille d'ailleurs cette expression n'est pas isolée :

Un même instant conclut notre amour et la guerre. {Borace, I, ii.)

173 Là pour alors. Ici, pour éviter les longueurs et varier la forme, Corneille passe du langage direct au langage indirect. Le tableau devient plus général, mais se rattache au sujet, puisqu' Auguste a profité de tous ces malheurs et quil s'agit de les supprimer en le faisant disparaître. — Misère avait alors un sens plus fort qu'aujourd'hui. ,,..,. ,,.. u , . •• i

174 Les règles des participes passés étaient loin d être absolues au xvii' siècle, et M Chafsang, qui cite cet exemple, a pu en citer plusieurs autres de Racine. Voltaire et Palissot approuvent cette licence poétique; mais ce n'est pas une sim- ple licence Au v. 1132 du Cid, on lit : « les premiers effets qu'ait produit sa va- leur » Ni Scudéry, ni l'Académie ne virent une faute dans ce manque d'accord. L'accord cependant était facile, et n'aurait en rien modifié le vers, pas plus que le V 230 de Rodogune, oùmtre édition donne par erreur : «les appas qu'avaient trouvés leur père » VaugelaJ, Ménage, Bouhours, le sévère Thomas Corneille lui- même admettaient que le participe restât indéclinable quand il était suivi d'au- tres mots et spécialement « quand le verbe précède son nominatif », ce qui est le cas ici. La règle ne s'établit définitivement qu'au xvm» siècle. — Durant et enduré, légère inadvertance. j-, m » •

176 Redoubler, doubler, accroître. « Les plaisirs mesmes, — dit Montaigne, en parlant de la Boétie — me redoublent le regret de sa perte. » Dans fforaet (t. 1124), Corneille traduit ainsi le geminata Victoria de Tite-Live: Tout hors d'haleine il prend pourtan sa place, Et ïe.fioELble tientot la victoire d'Horace.

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