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ACTE I, SCÈNE III 85

Qu'un crayon imparfait de leur sanglante paix.

Vous dirai-je les noms de ces grands peisonnages Dont j"ai dépeint les morts pour aigrir les courages, De ces fameux proscrits, ces demi-dieux mortels, Qu'on a sacrifiés jusque sur les autels? Mais pourrais-je vous dire à quelle impatience, A quels frémissements, à quelle violence, 210

Ces indignes trépas, quoique mal figurés, Ont porté les esprits de tous nos conjurés? Je n'ai point perdu temps, et, voyant leur colère Au point de ne rien craindre, en état de tout faire, J'ajoute en peu de mots : « Toutes ces cruautés, 2!^

La perte de nos biens et de nos libertés,

204. Crayon, esquisse, première ébauche, non expressa effigies, sed adumhr ata. (Ciféron , pro Cœlio). — « Ce n'est ici qu'un simple crayon », dit Molière danii la préface de l'Amour médecin. Cette expression « un crayon imparfait > se re~ trouve chez Bossuet et Pellisson, cités par M. Littré. Jean-Jacques Rousseau l'en» ployait en'-ore volontiers. C'est dans le même sens que Coineille prend le mot crayonner :

Et je me trouve enfin la main qni crayonna

L'âme du grand Pompée et l'esprit de Cinna. (Veri au roi.)

Leur sanglante paix, belle antithèse qui fait souvenir du mot célèbre de Ta- cite : Ubi solitwiinem faciunt, pacem appellant.

206. Selon ViiUairp, .. aigrir n'est pas assez fort. » 11 faudrait donc condam- ner ces vers du Brulas de Voltaire cités par M. Littré :

Connai.5?ez donc Titns, voyez tonte ?on âme.

Le courroux qui l'aigrit, le poison qui Tenflamme. (I, it.)

La vérité c'est qu'aijriV, irriter, exacerbare, n'a plus toute sa force primitive. On le retrouvera au v. IGIS, après avoir vu, au v. 641, aii7rfHr pris dans un sens également remarquable Courage, pour cœur, comme au v. 77.

211. Mal figurés, mA représentés :

Ce Dien. maître absolu de la terre et des cieux.

N'est point tel que l'erreur le figure à vos yenx. {Esther, HI, ♦.)

213. Perdre temps, pour perdre du temps, perdre son temps, construction eL liptique dont on trouve de fréquents exemples chez Corneille. En voici deux em- pruntés à Nicomède :

Faites-lui perdre temps. (1623.)

Mais qoi perd temps ici perd tout son avantage. (1644.)

214. Au point de, qui sou\cnt signifie au momint de, veut dire ici en situa- tion de; au v. 549, point a un sens analogue.

215. M. Guizot a très bien remarqué avec quel art Corneille a su varier la forme, tour à tour narrative et oratoire, de ce long mr)rceau. Ce sont d'abord quelques larges traits d'ensemble : n Aucun détail n'aurait pu présenter à l'imagina- tion ce que lui montrent en groupe deux ou trois belles images; la suite du récit prête au détail, et Cinna, reprenant le ton simple de la narration, cesse de pein- dre les rbiires pour se borner à les montrer; mais, à la fin, il s'agit de résumer son discours, de ramener à un sentiment, à une idée unique, les' diverses émo- tions qu'il a fait naître... Dans ce discours, un des plus beaux qui soient sortis de sa plume, Corneille, simple jt sobre dans l'emploi des figures uéf-essaires, s'en sert pour exprimer son idée, jamais pour l'étendre au delà de ses limites natu- •*Ue». » fComeille et son temps J

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