Aller au contenu

Page:Corneille Théâtre Hémon tome2.djvu/34

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

autre chose, par cerlains endroits, qu’une tragi-comédie*, la plus admirable de toutes, il esl vrai?

Qu’on s’en afflige ou qu’on y applaudisse, il n’en est pas moins certain qu’Horace marque une date dans Tliistoire de l’art dramatique. Ce jour-là, Corneille restreignait volontairement le champ illimité du drame; ce jour-là, il créait la tragédie classique, telle que nous la concevons encore, telle que nous l’étudions dans son passé un peu lointain, telle que Racine et Voltaire l’acceptèrent de ses mains et la firent fleurir. Le Cid el Horace, voilà deux formes très différentes d’un art toujours le même au fond. Ne disons pas que Corneille a fait mieux, cette fois, mais reconnaissons qu’il a voulu faire autre chose, qu’il a profité des critiques, qu’il a de bonne foi essayé de se plier aux règles que ses rivaux lui opposaient avec un si insolent pédantisme. L’Arétin et Lope de Vega se souciaient peu des unités; Corneille les respecte et veut qu’on le sache. Horace, — il se plaît à le remarquer, — est au nombre des pièces fort rares .qu’il a pu réduire à la rigueur de l’unité du lieu 2. Tout s’y passe en effet dans la salle d’une même maison. La vraisemblance en soufl’re bien quelque peu ; mais quoi! « Les femmes ont tant d’amitié l’une pour l’autre et des intérêts si conjoints qu’elles peuvent être toujours ensemble 3. » C’est de ces petites raisons que se paye le grand Corneille; nous aurions mauvaise grâce à les juger puériles.

En résumé, le Cid a plus d’étendue, plus de lumière, plus d’horizon, surtout plus de grâce; l’imagination s’y joue librement et y triomphe, comme dans YOrazia elVHonrado hermano. Ce qui domine dans VHorucc de Corneille, c’est la raison, qui réprime les écarts de l’imagination, fait à la passion sa large part, mais veut régner seule au-dessus d’elle. Ceux que le drame moderne a familiarisés avec ses fantaisies sans cesse renouvelées trouveront sans doute un peu étroite et austère cette conception toute métaphysique de la tragédie du ivn" siècle. Mais ces règles n’étaient pas toujours des entraves, et dans ce moule, si étroit qu’il fût, ont tenu à l’aise les plus fortes œuvres de ce théâtre^ dont Horace marque le point de maturité.

1. « Le Cid est encore une tragi-comédie; Horace, Cinna, Polyeucte sont des tragédies; il est douteux que le public y ait pris plus de plaisir: mais l’ombre d’Aristote dut être satisfaite, et les envieux furent désarmés. » (Sainte-Beuve.)

2. Discours de la tragédie. — Discours des trois unités. II n’y cite que trois pièces réunissant ces conditions : Horace, Polyeucte, et Pompée.

3. Discourt des trois unités.