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Page:Corneille Théâtre Hémon tome2.djvu/354

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no CINNA

Je crus qu'à d'autres soins elle serait sensible : 1630

Je parlai de son père et de votre rigueur,

Et l'offre de mon bras suivit celle du cœur.

Que la vengeance est douce à l'esprit d'une femme I

Je l'attaquai par là, par là je pris son âme.

Dans mon peu de mérite elle me négligeait, 1633

Et ne put négliger le bras qui la vengeait.

Elle n'a conspiré que par mon artifice:

J'en suis le seul auteur, elle n'est que complice.

iEMlLIE.

Ginna, qu'oses-tu dire > est-ce là me chérir,

Que de m'ôter l'honneur quand il me faut mourir? 1640

CINNA.

Mourez, mais en mourant ne souillez point ma gloire.

EMILIE.

La mienne se flétrit, si César te veut croire.

CINNA.

Et la mienne se perd, si vous tirez à vous Toute celle qui suit de si généreux coups.

EMILIE.

Eh bien! prends-en ta part, et me laisse la mienne; 1645 Ce serait l'affaiblir que d'affaiblir la tienne : La gloire et le plaisir, la honte et les tourments, Tout doit être commun entre de vrais amants.

Nos deux âmes, seigneur, sont deux âmes romaines : Unissant nos désirs, nous unîmes nos haines. 1650

De nos parents perdus le vif ressentiment

souvent synonyme de pur chez les tragiques du ivii* siècle. « Tous mes feux n'avaient rien que de saint, » dira Corneille dans Héraclitts (III, i), et Roirou : « Tous tes désirs sont saints. » {Occasions perdues, IV, 3.)

Tonjonrs d'un taint désir l6 eiel est protecteur. {Cléagénor, III, v.) 1633. Qu'une femme est à craindre et bait obstinément ! (Rotrou,fi^2i<aire. m. n.)

Voyez, dans Bodogune (V, 1), quelle sauvage douceur Cléopâtre trouve à U vengeance.

1643. Tirer à soi est plutôt du style comique ; l'emploi qui en est fait ici relève cette locution familière.

,1645. Me est construit ici comme au v. 924. — « Prends-en ta part est du ton dé la comédie. » (Voltaire.) — « Nous avouons qu'ici prends-en ta part nom paraît simple et noble. » (Palissot.)

1648. Les expressions romanesques elles-mêmes sont soutenues par la gran- deur de la situation, et l'on ne songe pas à contester le titre de « vrais amants » à ceui qu'unit une si généreuse émulation dans l'héroïsme et le sacrifice.

1651. « Ressentiment ne se dit plus guère aujourd'hui, au moral, que du souvenir qu'on garde des injures, du désir de vengeance. Mais on voit (ju'au temps de Corneille il s'employait aussi dans un sens beaucoup plus étendu, et s'appliquait également bien au souvenir des bienfaits et à toute vive impression gardée de quelque chose. » (M. Marty-Laveaux.) Rien de plus juste: ressentiment était alors, en eîTet, synonyme de reconnaissance. Mais il nous semble au'ici il

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