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iNTRODUCTION 35

premiers actes de Cinna laissent l'intérêt flottant entre les conjurés et Auiruste. Ici, rien qu'on puisse retrancher, rien qui divise l'intérêt, très clair tout d'abord, et graduellement accru. Le moindre détail est utile ; tout se tient et se suit, tout court à la crise inévitable. La complication excessive de l'action qu'on peut critiquer en certaines autres pièces de Corneille ne nous gêne point en celle-ci; sans être « faite de rien » comme quelques pièces de Racine, elle n'arien d'embar- rassé ni d'obscur. Corneille a d'autant plus de mérite à y avoir réalisé l'harmonie, que, cette fois, il s'attaquait à un sujet peu connu, et était plus libre d'innover, comme il l'a trop fait plus tard dans Hémclius. — .

Il est vrai qu'un des ressorts principaux de cette action, le songe de Pauline, a paru inutile ou même maladroitement imaginé, surtout à ceux qui condamnent absolument ce moyen dramatique : « Les songes sont usés au théâtre, écrit Grimm ; Rotrou a fait un songe dans Venceslas ; Corneille, à son imi- tation, un songe dans Polyeucte ; Racine, à l'imitation de Corneille, un songe dans Athalie ; Crébillon, à l'iraitatioa de Racine, un songe dans Electre. Au diable la race de ces songeurs! c'est une chose si peu naturelle qu'un songe! «  On a sans doute abusé des songes au théâtre; est-ce une rai- son pour n'en user jamais? Parce que le songe traditionnel est devenu l'accessoire banal de toute tragédie classique, faut- il oublier qu'au temps de Corneille ce ressort n'était encore ni faussé, ni vieilli ? S'il y a un coupable, en effet, le coupable est Corneille ; Grirani commet une erreur singulière lorsqu'il croit le songe de Polyeucte imité du songe de Venceslas. Le Venceslas de Rotrou ne parut qu'en 1647, et c'est Rotrou qui fut l'imitateur. Au reste, les récits des anciens bagiographes mentionnent aussi un songe, mais envoyé par Dieu à Polyeucte pour le décider à confesser ouvertement sa foi chrétienne. Ce songe. Corneille l'a transporté de Polyeucte à Pauline. 11 jugeait sans doute que Polyeucte n'avait pas besoin d'être averti ni éclairé : n'a-t-il pas près de lui Néarque pour le conseiller et l'entlammer, et, au-dessus de lui, la grâce qui Ta descendre? Pauline, au contraire, n'avait-elle pas besoin d'être soutenue à la veille de la terrible épreuve qu'elle va subir? Ou objecte que. loin de la soutenir, ce songe ne sert qu'à la troubler, à l'irriter davantage contre les chrétiens, au moment même où son mari va faire profession de foi de christianisme. En quoi donc ce songe, envoyé, semble-t-il, par le démon, pourrait-il ajouter à l'effet d'une tragédie chrétienne, et acheminer Pauline vers la conversion finale? D'abord, il importe peu que « l'ennemi du genre humain » lait

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