Aller au contenu

Page:Corneille Théâtre Hémon tome2.djvu/400

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

36 POLYEUGTE

envoyé ou non ; il suffit de croire, en se plaçant au point de vue religieux où s'est placé Corneille, que Dieu peut interve- nir et intervient en effet pour faire tourner ce songe au profit de Pauline et aussi de Poiyeucte, car la vague terreur qu'elle en conçoit l'unit plus étroitement à son mari, précisément à l'heure où l'apparition imprévue de Sévère va réveiller en son cœur son ancien amour. Si le danger est dans la présence de Sévère, rien ne sera inutile de tout ce qui contribuera à atfaiblir l'effet de cette présence en grandissant l'affection conjugale dans le cœur de Pauline. Assurément, le songe de Poiyeucte n'a pas l'importance du songe d'Alhalie, qui décide l'usurpatrice à interroger Joas, et par là précipite la crise; il est beaucoup plus dramatique, en revanche, que le songe d'Horace, où, dès le début de la pièce, le dénouement est annoncé, mais don! '"influence sur l'action est à peu près nulle.

Quel a été le but de Corneille? C'est de rapprocher de plus en plus l'un de l'auire Polyeuete et Pauline, jusqu'à ce que leurs deux âmes, après bien des combats, se confondent dans le même amour épuré. Comment a-t-il atteint ce but? Par la création du caractère de Sévère, sans lequel la lutte de la passion et du devoir, ou n'exislerail pas, ou n'exciterait qu'un intérêt moindre. Les amants héroïques dont les figures sont au premier plan et se détachent en pleine lumière, ce ne sont donc pas Sévère et Pauline, puisque Sévère est sacrifié à la fin, ce sont Poiyeucte et Pauline, puisquun crescendo d'hé- roïsme les élève tous deux, seuls, au-dessus des passions humaines. C'est à Poiyeucte que Pauline sacrifie son amour; c'est pour sauver Poiyeucte qu'elle descend à toutes les prières, non seulement près de Poiyeucte lui-même, mais près de son père et de son ancien amant ; c'est la mort de Poiyeucte qui entraîne la conversion de sa femme ; c'est Poiyeucte qu'elle veut suivre dans la béatitude.

Tout autre a été l'opinion, non pas seulement du xviii®, mais du xvii" siècle presque tout entier. Celte idée qu'un martyr pouvait être un héros de tragédie n'était point facilement ac- ceptée. Pascal disait bien, il est vrai : « L'exemple de la mort des martyrs nous louche : car ce sont nos membres. Nous avons un lien commun avec eux ^. » Mais le prince de Conti, l'ancien frondeur devenu janséniste austère, écrivait, à propos de Poiyeucte même, dans son Traité de la comédie : « En vérité, y a-t-il rien de plus sec et de moins agréable que ce qui est de saint dans cet ouvrage ? Y a-t-il personne qui ne soit mille fois plus touché de raffliction de Sévère, lorsqu'iltrouve Pau*

1. Peniiii.

�� �