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INTRODUCTTOIf 21

Tine mariée, que du martyre de Polyeiicle? » Lorsquil affir- mait que le caractère de Polyeucte n'était fait pour exciter ni la sympatliie, ni la pitié, le prave Dacier ne faisait e-uère que repéter Conti, et aussi Saint-Evremond, qui, tout dévoué d'ailleurs à Corneille, mais n'ayant point la vocation du martyre, du fond de son commode exil, avait nettement condamné l'esprit de la tragédie chrétienne.

« L"esprit de notre religion est directement opposé à celui de la tragédie. L'humilité et la patience de nos saints sont trop contraii'es à la vertu des héros que demande le théâtre. Quel zèle, quelle force le ciel n"inspire-t-il pas à Néarque et à l*olyeucte? et que ne font pas ces nouveaux chrétiens pour répoiîdre à ces heureuses inspirations ? L'amour et les charmes d'une jeune épouse chèrement aimée ne font aucune impres- sion sur l'esprit de Polyeucte. La considération de la poli- tique de Félix, comme moins touchante, fait moins d'etl'et. Insensible aux prières et aux menaces, Polyeucte a plus d'envie de mourir pour Dieu que les autres hommes n'en ont de vivre pour eux. INéamoins, co qui eût fait un beau sermon faisait une misérable tragédie, si les entretiens de Pauline et de Sévère, animés d'autres sentiments et d'autres passions, n'eussent conservé à l'auteur la réputation que les vertus chré- tiennes de nos martyrs lui eussent ôtée *. »

Ce qui est remarquable, c'est que Corneille lui-même, pris d'un scrupule inattendu, tout en constatant le succès de sa pièce, n'avail pas été loin d'en condamner lui-même le prin- cipe : (c L'exclusion des personnes tout à fait vertueuses qui tombent dans le malheur bannit les martyrs de notre tragé- die. Polyeucte y a réussi contre cette maxime ^. » Combien il se rend plus iustice à lui-même lorsque, dans l'examen de Nicoméde, il plaide en ces termes la cause des personnages purement héroïques : « Ce héros de ma façon sort un peu des règles de la tragédie, en ce qu'il ne cherche point à faire pitié par l'excès de ses infortunes ; mais le succès a montré que la fermeté des grands cœurs, qui n'excite que de Tadmi- ration dans l'àme du spectateur, est quelquefois aussi agréabla que la compassion que notre art nous ordonne d'y pro- duire par la représentation de leurs malheurs. » Si cette réflexion est vraie de JNicomède, elle ne l'est pas moins de Polyeucte.

11 ne faut pas confondre, en effet, le saint et le martyr. Elevé au-dessus de uos faiblesses et de nos combats, le saint

1. De la traqédie ancienne et modernt, 1672. t. Discours de la tragédie.

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