Page:Corneille Théâtre Hémon tome2.djvu/54

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n'aime ses enfants? Non; cela montre seulement que le vieil Horace n'a pas pour sa patrie les mêmes sentiments que pour ses fils : il aime ses enfants avec faiblesse et émotion, comme nous les aimons tous; mais il aime sa patrie avec une sorte de fermeté décidée à tout faire et à tout souffrir pour elle.

« Dans le vieil Horace, l'amour paternel éclate surtout quand, d'accord avec le devoir, il n'a plus à se contraindre. Voyez cette scène où il sait enfin que son fils a fait triompher Rome et qu'il est vainqueur et vivant :

O mon fils, ô ma joie, ô l'honneur de nos jours !
O d'un Etat penchant l'inespéré secours !
Vertu digne de Rome, et sang digne d'Horace !
Appui de ton pays et gloire de ta race !
Quand pourrai-je étouffer dans tes embrassements
L'erreur dont j'ai forme de si faux sentiments ?
Quand pourra mon amour baigner avec tendresse
Ton front victorieux de larmes d'allégresse 1^ ?

« Il pleure alors sans plus vouloir se cacher, ce vieux Romain qui, au départ de ses fils, s'accusait d'avoir les larmes aux yeux ; il pleure, et ses larmes de joie nous touchent plus vivement encore que ses larmes d'inquiétude, parce qu'elles nous découvrent le fond de cet amour paternel qui, jusqu'alors, se dérobait à nos yeux avec une sorte de pudeur.,. Dans Géronte 2^, comme dans don Diègue et le vieil Horace, l'amour paternel se montre mêlé de tendresse et de fermeté, de force et de faiblesse, tel qu'il est enfin; mais, dans ce mélange. Corneille a toujours soin Je soumettre le sentiment faible au sentiment fort, la tendresse au devoir, et la loi morale reste supérieure à l'homme, dont elle contient le cœur sans l'étouffer. Il y a entre Géronte et don Diègue ou le vieil Horace les différences qui séparent les personnages comiques des personnages tragiques ; mais c'est le même fond de sentiments et d'idées 3^. »

Une seule réserve nous sera permise, dût-elle sembler paradoxale. Certes, la supériorité morale du vieil Horace sur le jeune Horace — si vrai d'ailleurs, plus vrai même que son père, historiquement — éclate à tous les yeux et nous n'aurons garde de la méconnaître. Peut-être, cependant, s'est-on trop habitué à insister sur les différences qui les séparent, sans marquer les ressemblances, moindres sans doute, qui le

1. Acte IV, sc. II.

2. Voyez le Menteur, v, 3.

9. Saint- Marc Girardin : Cours de littérature dramatique, I, 8