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rensement, mais si clairement aperçu. Pas plus qu'Horace il n'est homme à mettre en balance sa passion et son devoir; il plaint Camille, mais ne peut que la plaindre :
Avant que d'être à vous, je suis à mon pays *.
Ses faiblesses mêmes, loin de nous éloigner de lui, nous in- spirent une involontaire sympathie. Il est plus homme ainsi, plus semblable à nous. Oui, notre sympathie lui est assurée; mais c'est à Horace que va notre admiration. Corneille l'a voulu ainsi, lui qui nous laisse à peine entrevoir Curiace aux deux premiers actes et qui le fait disparaître ensuite pour laisser la place libre aux Horaces. On le sent bien, à ces /■eprésentations populaires où un public peu raffiné est admis à applaudir les héros cornéliens. Il écoute Curiace avec intérêt; il a pour lui de l'estime, mais il se passionne pour l'altière grandeur d'âme d'Horace.
Comprend-il que, sous ces traits un peu farouches, Corneille a voulu peindre le dévouement absolu, l'inflexibilité néces- saire, l'entêtement sublime du citoyen et du soldat de Rome naissante? Non, ces considérations historiques toucheraient peu la foule, qui se laisse prendre aux choses par les entrailles et ne cherche point de raisons pour avoir du plaisir. Les caractères tout d'une pièce de Corneille sont-ils mieux faits pour émouvoir des spectateurs illettrés que les héros nuancés de Racine? Peut-être. Mais, avant tout, ils sentent d'instinct que Curiace, dont on serait heureux de faire son ami, ne sau- rait être le héros dont Corneille entend proposer le modèle idéal à l'imitation des cœurs faibles. C'est que, dans le danger pressant de la patrie, les moitiés d'héroïsme ne suffisent pas. En toute autre circonstance, nous nous contenterions de la valeur lélliLiiie d'un Curiace; à ce moment, c'est un Horace qu'il nous faut, et les Horace sont rares. Oui, à ces heures critiques, il nous faut un homme dont l'âme soit fermée à toute hésitation, à tout scrupule pusillanime, à tout senti- ment personnel dont l'intérêt public puisse souffrir. Curiace; semble dire : « Ma patrie a fait choix de moi, je lui obéirai, « mais j'ai nierais mieux qu'elle eût désigné un autre cham- « pion. » Horace, au contraire, est joyeux et fier de l'honneur que lui fait son pays, il brûle de combattre et de donner sa vie pour Rome, il jure de vaincre ou de mourir. Faut-il dire toute notre pensée? Horace, c'est le volontaire qui n'a qu'un but et qu'un désir: sauver sa patrie menacée. Curiace, c'est le
s. Acte II, ic. ▼.
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