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Page:Corneille Théâtre Hémon tome3.djvu/140

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124 POMPÉE

Me fait la prisonnière et non pas ton esclave,

Et tu ne prétends pas qu'il m'abatte le cœur

Jusqu'à te rendre hommage, et te nommer seigneur;

De quelque rude trait qu'il m'ose avoir frappée.

Veuve du jeune Crasse, et veuve de Pompée, 990

Fille de Scipion, et, pour dire encor plus,

Romaine, mon courage est encore au-dessus;

Et de tous les assauts que sa rigueur me livre.

Rien ne me fait rougir que la honte de vivre.

J'ai vu mourir Pompée, et ne l'ai pas suivi; 995

Et, bien que le moyen m'en ait été ravi,

Qu'une pitié cruelle à mes douleurs profondes

M'ait ôté le secours et du fer et des ondes,

peuvent dire avec trois lettres. » Dans sa comédie des Académistes, Saint-Evre- mond fait défendre la cause de car par Desmarests contre Gomberville et Gom- bauld :

De car viennent les lois, sans car point d'ordonnance.

« Quelle persérution le car n'a-t-il pas essuyée! et, s'il n'eiit trouvé de la protection parmi les gens polis, n'était-il pas banni honteusement d'une langue à qui il a rendu de si longs services, sans qu'on sût qi^l mot lui substituer? » (La Bruyère, De quelques usages.) On voit par ce vers célèbre qui ouvre le discours de Cornélie que Corneille était de ceux qui tenaient à rébabiliter car et à le mettre en pleine lumière.

986. £!t nonpas; nous dirions plutôt aujourd'hui, en retranchant la négation pas: et non ton esclave.

987. Au V. 95, on a vu abattre employé dans un sens figuré analogue.

988. « Elle se vante d'appeler César par son nom et de ne point l'appeler seigneur; mais le nom de seigneur n'était donné à personne ; c'est un terme dont nous nous servons au théâtre français, et dont Cornélie abuse : il vient du mot latin senior, et nous l'avons adopté pour en faire un titre honorifique. Cor- nélie peut-elle s'excuser de ne pas donner à un romain un titre français ? » (Vol- taire.) C'est faire à Corneille une bien petite chicane, car il est établi grammati- calement que seigneur et sire sont doux formes du même mot, et dominus en latin n'a pas un sens moins fort Voilà pourquoi Cornélie se refuse à appeler César du nom de seigneur, c'est-à-dire à reconnaître en lui son maître. Du reste, dans Horace, le bon roi Tullus Hostilius est bien appelé Sire et Votre Majesté. Si c'est un anachronisme, il est pardoonable. La critique de Vauvenargues est plus sérieuse : « Cette atfectation de grandeur que nous prêtons aux Romains m'a toujours paru le principal défaut de notre théâtre et l'écueil ordinaire des poètes. Si Agrippine eût dit, comme Cornélie : « Néron, carie destin, etc. », alors je ne doute pas que bien des gens n'eussent applaudi à ces paroles et les eus- sent trouvées fort élevées. » (Réflexions critiques sur quelques poètes.) 11 n'y a, ce nous semble, aucune comparaison à faire entre la situation de l'ambitieuse Agrippine, forcée de plaider sa cause pour reconquérir le pouvoir qui lui échappe, et celle de l'altière Cornélie, vaincue, mais non pas résignée, et dont la seule pensée désormais est une pensée de vengeance. Les situations changeant, le ton ne doit-il pas changer aussi?

990. On sait déjà que le premier mari de Cornélie avait été le jeune Publius Crassus, qui avait suivi son père dans l'expédition contre les Parthes et avait partagé son triste sort. Corneille se plaît à franciser ain^i les noms latins, et à écrire Brute, Agrippe, Cassie, Manlie, les Cosses, les Métels, etc.

995 Pntuit cemens tua vuhiera, Magne,

Non fugere in mortem. (Lncain, IX, 104-106.)

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