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ACTE III, SCÈxNE IV 125

Je dois rougir pourtant, après un tel malheur,

De n'avoir pu mourir d'un excès de douleur : 1000

Ma mort était ma gloire, et le destin m'en prive

Pour croître mes malheurs et me voir ta captive.

Je dois bien toutefois rendre grâces aux dieux

De ce qu'en arrivant je te trouve en ces lieux.

Que César y commande et non pas Plolomée. lOOo

Hélas! et sous quel astre, ô ciel! m'as-tu formée,

Si je leur dois des vœux de ce qu'ils ont permis

Que je rencontre ici mes plus grands ennemis,

Et tombe entre leurs mains plutôt qu'aux mains d'un prince

Qui doit à mon époux son trône et sa province? 101

César, de ta victoire écoute moins le bruit : Elle n'est que l'effet du malheur qui me suit ; Je l'ai porté pour dot chez Pompée et chez Crasse; Deux fois du monde entier j'ai causé la disgrâce ; Deux fois de mon hymen le nœud mal assorti 1015

A chassé tous les dieux du plus juste parti :

999. Turpemori post te solo non passe dolorc. (Id. IX. 108.)

1002. Croître, pris aotivenient pour accroître ; voyez le v. 1542. Vaugelas con- damne cet emploi, mais constate aussi que les poètes « s'émancipent » jusqu'à méconnaître la distinction entre accroître, verbe artif, et croître, verbe neutre. Le Dictionnaire de l'Académie autorise l'emploi actif de croître en poésie. Ce malheur tontefois sert à croître sa gloire. (Polyeucte, 309.)

Pour croître... et me voir, tournure peu correcte : le sujet de croître, c'est le destin ; le sujet de voir, c'est moi, Cornélie.

1007. Vœux a ici le sens, très rare, d'actions de grâces.

1010. Sa province, son royaume ; ces deux mots étaient synonymes chez les tragiques de la première moitié du siècle:

Il faut, sans pénétrer daus le secret des princes,

Croire qu'ils ont pour but le bien de leurs provinces. (Rotrou, Iphiqénie, 1, 3.) On nommera ces lieux la province des morts. (Id. Heureuse Constance, m. 2.; Plutôt que de vous perdre, ils perdront leurs provinces. (Rodogune, 788.)

Rotrou dit même d'un prince qu'il est « né pour la province », c'est-à-dira pour gouverner l'Etat.

1016. Btinocui mundo cunctosque fugavi

A causa meliore dcos. (Luoain. VITI. 90-94.) Fortuna est mutât a toris ; sempcrque patente» Detrahere in cladcm fato damnata maritos Innupsit tepido pcllex Cornelia bitsto. (Id. ni. 21-28.)

■Voyez, dans l'Introduction, le passage analogue emprunté à la Cornélie d» Garnier. Chez Plutarque, Cornélie fait entendre à Lesbos les mêmes plaintes, en Voyant son mari réduit à fuir avec un seul na\ire : « Hélas! c'est bien une œuvre de ma fortune, non pas delà tienne, cher mari, que je te voy maintenant réduit à une seule pauvre petite navire, là où, devant que tii espousasses la mal- heureuse Cornelia, tu soulois cingler en ceste mer avec cinq cens voiles. Helas! pourquoy m'ais-tu donc venu voir, et que ne m'as-lu laissée avec ma sinistre et malenrontreuse destinée, puis que c'est moy qui t'ay apporté tant de malheur? Hélas ! tant eusse esté femme heureuse, si je fusse morte avant oue d'entendre

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