INTRODUCTION 5
à l'imitation espagnole. En écrivant Horace, il se souvenait peut-être que Lope, dans son Honrado Ermano, avait traité, de tout autre manière, il est vrai, le même sujet; Cinna el la Mort de Fompée étaient imités de Sénèque et de Lucain, ces Romains d'Espagne. Pour la comédie, les modèles d'au delà des Pyrénées s'imposaient plus encore ; car la comédie était alors tout entière dans ces inlriiiues galantes et ro- manesques où les Espagnols triomphaient. Un connaisseur en ces matières , Saint-Evremond , leur rendait plus tard ce témoignage : « Ce que l'amour a de délicat me tlatte ; ce qu'il a de tendre me sait toucher, et, comme l'Espagne est le pays du monde où l'on aime le mieux, je ne me lasse jamais deliredansles auteurs espagnols des aventures amoureuses '. » Ailleurs, il remarque que la comédie, qui doit être la repré- sentation de la vie ordinaire, a été tournée tout à fait par nous sur la galanterie, à l'exemple des Espagnols, qui ont peint seulement la vie de Madrid et ses intrigues -. Si les comédies françaises ont plus de vraisemblance et de régula- rité, les comédies espagnoles sont plus fertiles en inventions. La raison en est, selon lui, qu'en Espagne les femmes ne se laissant presque jamais voir, l'imagination s'épuise en moyens ingénieux de faire trouver les amants en même endroit, tandis qu'en France, où le commerce entre les deux sexes est plus libre, nos écrivains sont conduits à rechercher surtout la délicatesse dans la tendre expression des sentiments.
Si nous y prenons garde, ces observations de Saint-Evre- mond nous découvriront la difl'érence essentielle qui sépare la Verdad sospechosa du Menteur. La pièce d'Alarcon vaut sur- tout par la savante complication de l'intrigue, par l'extrême ténuité des fils qui la relient, par la variété des incidents et la liberté de l'allure; au contraire, c'est par la finesse de l'analyse morale, par l'expression, à la fois savante et légère, spirituelle et palhélique, des sentiments les plus divers, que la comédie de Corneille sera originale.
Au fond, deux systèmes dramatiques sont en présence, l'un qui étale sous nos yeux les détails de la vie réelle, et nous montre les personnages vivant, parlant, agissant en pleine lumière; l'autre qui, dédaigneux de l'extérieur, regarde plus volontiers vers l'intérieur de l'àme, et s'efforce de saisir les nuances les plus fugitives des caractères ; l'un qui donne aux choses un relief saisissant, l'autre qui triomphe dans les
��1. De quelques livres espagnols, latins et français.
2. Sur nos comédies, excepté celles de Molière', où l'on trouve le vrai esprit de la comédie, et sur la comédie esvagnole '1677).
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