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INTRODUCTION 23

ce qu'il y a de plus insipide au théâtre. » Bornons-nous à dire que ces gracieuses ligures sont un peu effacées, et que l'intérêt de la pièce ne saurait être de ce côté.

3° La leçon morale. — Le même Geoffroy, si dur pour Clarice et Lucrèce, trouve fort moral le dénouement du Menteur; d'autres observent, au contraire, que Dorante, non seulement n'est pas corrigé, mais n'est même pas puni, puis- qu'il penche vers Lucrèce précisément à l'heure oti Lucrèce va lui être donnée, et qu'il la reçoit de bonne grâce, sans que personne s'aperçoive de sa déception, d'ailleurs fort peu cruelle. Mais un poème dramatique n'a rien à prouver, n'a personne à convertir. Est-il vrai, vivant, humain ? Cela suffît. Corneille ne s'était même pas préoccupé de la question mo- rale : « Il est hors de doute, dit-il, que c'est une habitude vicieuse que de menlir ; mais Dorante débite ses menteries avec une telle présence d'esprit et tant de vivacité que cette imperfection a bonne grâce en sa personne, et fait confesser aux spectateurs que le talent de mentir ainsi est un vice dont les sots ne sont point capables ' ». C'est précisément, répon- draient les censeurs rigoureux, parce que Dorante est sédui- sant, que son exemple est dangereux ; car nous devenons ses complices involontaires, et ne pouvons condamner qu'avec peine un travei's où se mêle tant d'esprit. Mais Corneille aurait raison contre les censeurs : il n'a pas en effet banni de sa pièce toute leçon morale ; mais il a voulu que cette leçon revêtit elle-même la forme dramatique et empruntât son autorité à l'autorité paternelle ; il l'a donc placée dans la bouche de Géronte, et l'a réservée pour la fin ; plus longtemps elle se sera fait attendre, plus frappant sera le coup de théâtre. Il est vrai que, même après cette explosion, après cet orage dans un ciel serein -, Dorante se retrouvera menteur comme devant. Mais, encore une fois, il ne faut point trop en vouloir à Corneille de n'avoir pas composé une comédie didactique.

Où donc est l'intérêt véritable? Il est tout entier dans la peinture de deux caractères, ceux de Dorante et de Géronte, près desquels apparaît, au second plan, celui de Ciiton. Que « l'intrigue se mêle heureusement à la peinture des carac- tères ^ », rien de moins contestable ; mais le tableau vaut mieux encore que le cadre. Ce n'était point l'avis de Fonte-

��1. Discours du poème dramatique.

2. M. Merlet, Etudes littérnircs sur les classiques fiançais. Ce n'est pas notre seul emprunt à cet excellent livre.

3. M. Gidel. Histoire de la littérature française.

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