Page:Corneille Théâtre Hémon tome3.djvu/385

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INTRODUCTION. S9

Gléopâtre ne parait point dans le premier acte. A quoi bon? L'on n'y parle que d'elle, des crimes qu'elle a commis autrefois, de ceux qu'elle serait capable de corameltre encore ; si Laonice est rassurée, Rodogune, qui la connaît mieux, craint tout d'elle, et nous devinons qu'elle a raison de tout craindre. Sous quels traits en effet, dès ce premier acte, nous apparaît Gléopâtre? C'est, nous dit Laonice, qui plaide en sa faveur, une âme « toute en feu »*; elle a tué son mari de sa propre main, pour se maintenir au pouvoir. N'est-ce donc là qu'une vengeance de l'orgueil .blessé ? Ne pourrait-on voir aussi dans ce premier crime la révélation, non seulement de la reine offensée, mais de la femme jalouse jusqu'à la fureur? La cruauté raffinée avec laquelle elle se plaît à torturer Ilodogune, désormais impuissante, ne prouve-t-elle pas que cette jalousie a survécu même à la mort de celui qui l'a inspirée? Ne nous faisons pas d'illusion ; au fond de cette jalousie même on trouverait encore l'orgueil révolté. Aucun sentiment de tendresse conjugale, au- cun rayon d'amour matc^mel ne pénètre en cette âme fermée à tout ce qui n'est pas 1 ambition. Il semble même que peu à peu elle déjwuille ce qui restait en elle d'humain : c'est dans un transport de r.'^e qu'elle a jadi* frappé Nicanor; c'est de sang- froid qu'elle prépare la mort de ses deux fils. De quoi sont-ils coupables? Sans doute d'aimer Rodogune, cette rivale éternelle, qui lui prend ses enfants après lui avoir pris son époux ; mais leur vrai crime, c'est de l'aimer assez pour ne plus r ! éir à Gléo- pâtre. Gette Agrippine eût volontiers couronné un autre Néron, mais pour réi^ner avec lui et sur lui.

Régner, voilà donc son seul but; elle n'a d'amour que pour le pouvoir; mais, en revanche, comme elle l'aime! Cette passica exclusive a grandi dans son coeur au détriment de toutes les autre». Femme et mère dénaturée, elle est et veut rester reine. Lisez le monologue qui ouvre le second acte ' ; (luelle âpre soif

��1. Acte-I, se. IV.

2. Dans ses Caractères (VI, Colin ou le Bel-lisprit) Vauvenarguos est bieu •évère pour ce monologue : « Cotin, écrit-il, te pique d'estimer les grandes chose.s, parce qu'il est vain. 11 affecte de mépriser l'éloquence de l'expr'.'sslon •t la justesse même des pensées, qui. à ce qu'il dit quelquefois, ne sont poini essentielles au sublime. Il ignore que le génie ne se caractérise en quelque sorte que par l' expression. La seule éloquence qu'il aime est l'ostentation et l'enflure. Il déclame ces vers pompeux et ces magnifiques tirades qu'on a tant vantées autrefois : Sarments fallacieux, etc. » On tent trop dans ce jugement un i)eu dédaigneux l'admirateur exclusif de Kacine, le critique intjéuumont ab- tolii de Corneille.

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