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SUR DON SAiNCHE D'ARAGON 89

De ne pouvoir régner que sous les lois d'un autre ; Etqu'uu sceptre soitcru d'un si grand poids pour nous, Que pour le soutenir il nous faille un époux ! A peine ai-je deux mois porté le diadème, Que de tous les côtés j'entends dire qu'on m'aime, Si toutefois sans crime et sans m'en indigner Je puis nommer amour une ardeur de régner. L'ambition des grands à cet espoir ouverte Semble pour m'acquérir s'apprêter à ma perte ; Et pour trancher le cours de leurs dissensions, 11 faut fermer la porte à leurs prétentions ; Il m'en faut choisir un ; eux-mêmes m'en convient. Mon peuple m'en conjure, et mes États m'en prient : Et même par mon ordre ils m'en proposent troi-. Dont mon cœur à leur gré i)eut faire un digne choix. Don Lope de Gusnian, don .Manrique de Lare Et don Alvar de Lune ont un mérite rare : Mais que me sert ce choix qu'on fait en leur faveur. Si pas un d'eux euhn n'a celui de mou cœur?

D. LÉO.NOR.

On vous les a nommés, mais sans vous les prescrire ; Ou vous obéira, quoi qu'il vous plaise élire : Si le cœur a choisi, vous pouvez faire un roi.

D. ISABELLE.

Madame, je suis reine, et dois régner sur moi. Le rang que nous tenons, jaloux de notre gloire. Souvent dans un tel choix nous défend de nous croire. Jette sur uos désirs un joug impérieux. Et dédaigne l'avis et du cœur et des yeux.

11 y a une tristesse pénétrante dans ces plaintes, où l'on ne sent pas seulement la dignité blessée de la reine, mais la déli- catesse froissée d'un cœur de femme. Déjà aussi on y croit deviner que la reine aime en secret quelqu'un, et les scènes suivantes cou- lirineront, en le précisant, ce soupçon encore assez vague. Comme Rodrigue, Carlos aura cette gloire d'être admiré et aimé de deux femmes à la fois ; mais Rodrigue et Chimène seraient l'un à l'autre sans obstacle si la fatalité ne les séparait point. Nous ne trouve- rons pas ici de Chimène, mais aussi nous n'y trouverons pas d'in- fante toujours plaintive. Carlos luttera contre cet amour sans espérance ; pour Isabelle, si charmante sous ce voile léger de mélancolie, elle saura parler et agir en reine, avec une autorité douce et ferme. Tout ce premier acte est admirable de grâce et d'éclat, surtout dans les deux scènes capitales qu'on cite toujours

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