Page:Corneille Théâtre Hémon tome4.djvu/183

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

INTRODUCTION l^l

d'en former un type donU'unité saisissante esl incontestable. Mais plus d'un critique et plus d'un acteur n'ont voulu voir qu'un des côtés de ce rôle complexe : quelques-uns en ont exagéré les traits odieux; un plus grand nombre en ont exa- géré les traits comiques. « Le rôle de Prusias, dit Lekàin ', doit être joué avec tout l'extérieur de la caducité : c'est ainsi que Corneille nous l'a peint dans la pi-einière et la seconde scène du second acte. 11 est facile de voir que son radotage perpétuel serait intolérable sans cette précaution; cela seul peut excuser sa faiblesse vis-à-vis de l'ambassadeur romain et sa pusillanimité vis-à-vis de sa femme. » Nous en deman- dons pardon à Lekain ; mais, s'il a bien soutenu le rôle de Nicomède, il n'a rien compris à celui de Prusias. Son erreur, du reste, est celle de Voltaire, qui partout voit en Prusias un prince « imbécile ». Tous deux se sont laissé prendre à cette fausse bonhomie du mari d'Arsinoé ; peut-être aussi Voltaire avait-il besoin de ce « vieux père de famille imbécile, qui ne sent rien », comme d'un exemple à l'appui de sa thèse exclu- sive sur le mélange du comique et du tragique : « Mais, dira- t-on, cela n'esl-il pas dans la nature ? n'y a-t-il pas des rois qui gouvernent très mal leurs familles, qui sont trompés par leurs femmes et méprisés par leurs enfants? Oui, mais il ne faut pas les mettre sur le théâtre tragique. Pourquoi? C'est qu'il ne faut pas peindre des ânes dans les batailles d'Arbel- les ou de Pharsale '^. » Un àne ferait très mal, il est vrai, dans les grandes toiles solennelles de Lebrun; mais ce qu'il fau- drait prouver, c'est que le caractère de Prusias détonne dans l'ensemble de l'œuvre cornélienne. Or c'est le contraire qui est évident : loin d'être déplacé dans cet ensemble, le carac- tère de Prusias le complète.

Ne parlons plus du roi, que nous avons déjà jugé ^ et qu'au- cun plaidoyer ne réhabilitera, mais qui pourtant, s'il est ayili, n'est pas inconscient; car il sait encore parler en roi dès que les Romains — ces excellents alliés qu'il ne subit peut-être pas sans une secrète lassitude — ne sont plus là pour lui dicter ses paroles. Devant Nicomède il prend, pour ainsi dire, sa revanche d'une longue dépendance ; il parle, et parie haut :

Remettez en éclat la puissance absolue : Attendez-la de moi comme je l'ai reçue, Inviolable, entière ; et n'autorisez pas

1. Mémoires.

2. Commentaire de Nicomède.

3. Voyez la première partie de l'Introduction.

�� �