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550 ÉTUDE

discours où Titus annonce sa résolution de mourir. Mais Tite n"a point, à proprement parier, de caractère, à moins que ce n'en soit un d'être toujours incertain. Tantôt il parle vraiment en em- pereur, tantôt il jette sa couronne aux pieds de Bérénice, prêt à fuir avec elle au fond de l'Orient pour y abriter son bonheur obscur. Chose curieuse! c'est le poète du devoir qui a prêté à son héros la passion la plus désordonnée.

Le véritable héros de la pièce cornélienne, ce n'est pas Tite, c'est Bérénice. Sans elle Tite serait avili ; grâce à elle seule, il reste debout. Cette conception n'a presque rien de semblable à celle de Racine. On ne trouve guère entre les deux Bérénices qu'un trait commun, c'est l'absolu désintéressement. Ce qui, chez Racine, rend l'amour de Bérénice si touchant, c'est la na'iveté de sa con- fiance en Titus. Titus la quitter! est-ce possible? elle en croit à peine Titus lui-même. Chez Corneille, Bérénice a une rivale moins aimée sans doute, mais appuyée par les vœux de tout le peuple romain. Elle a donc un combat à livrer, et pour vaincre elle ne dédaigne aucun moyen. La Bérénice de Racine n'a que ses larmes ; elle est aveugle, et ne veut pas qu'on lui ouvre les yeux; elle est emportée par cette « sublime déraison* » de celles qui aiment sans raisonner leur amour; avant tout, elle est femme. Toutefois de bons juges ont pu souhaiter qu'elle eût parfois on ne sait quelle réserve plus hère. C'est par la fierté, mais par une fierté un peu tendue, qu'est grande la reine qui, au dénouement de Tite et Bérénice, va au-devant du sacrifice qu'elle s'est longtemps refusée à subir, qu'elle s'impose enfin à elle-même, alors que sont désarmés et impuissants ceux qui prétendaient le lui im- poser. Quoi qu'on pense de ce dénouement assez mal préparé, on n'en peut nier l'élévation morale. Tout Corneille est dans ce coup de théâtre final , dans ce renoncement héro'ique , trop héroïque peut-être pour que nous en soyons touchés au fond du coeur.

Le public, qui n'est pas composé en majorité de héros, alla d'abord en foule voir Tite et Bérénice, puis se lassa. Cette « comédie héroïque » n'eut que vingt et une rcprésontatious, dont la plu- part furent peu fructueuses. Corneille pourtant avait reçu d'avance une somme de deux mille livres, comme pour Attila. Tous les éloges prodigués par le gazetier Robinet à la « Bérénice non pareille,

1. M. Deltour, les Ennemis de Racine.

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