Page:Corréard, Savigny - Naufrage de la frégate La Méduse, 1821.djvu/172

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
170
NAUFRAGE DE LA MÉDUSE.

Louis[1], et la chaloupe prit ensuite le large. Laissons aller ces soixante-trois malheureux qui viennent d’être déposés sur les sables du cap Mirick. Nous y reviendrons plus tard ; pour le moment, suivons les mouvemens des autres canots. À midi, ayant couru quelques milles, la chaloupe eut connaissance des autres embarcations. On manœuvrait pour les recon-

  1. (e) La mer était à deux doigts du bord de la chaloupe, le moindre flot entrait dedans, de plus, elle faisait eau, il fallait continuellement la vider ; service auquel se refusaient les matelots et les soldats qui étaient avec nous : heureusement la mer était assez tranquille.
    Dès le soir même du 5 nous vîmes terre, et ce cri de terre ! terre ! fut répété par tout le monde. Nous faisions voile rapidement vers les côtes d’Afrique, quand nous sentîmes que nous avions touché. Nouvelle détresse. Nous n’avions que trois pieds d’eau : mais nous serait-il possible de remettre la chaloupe à flot et de la pousser au large ? Il n’y avait plus d’espoir de pouvoir gagner terre. Quant à moi, je ne voyais que danger sur les côtes d’Afrique, et j’aimais autant me noyer que d’être fait esclave et conduit à Maroc ou à Alger. Mais la chaloupe ne toucha qu’une fois ; nous revînmes sur notre chemin, et, à force de sondages et de tâtonnemens, nous parvînmes au large vers la nuit.
    La Providence avait décidé que nous éprouverions toutes les angoisses, et que nous ne péririons pas. Quelle nuit en effet ! la mer fut très-grosse ; le talent de notre timonier nous sauva. Un seul mouvement faux, c’était fait de nous. Nous embarquâmes cependant en partie deux ou trois lames qu’il nous fallut vider à la hâte. Il était temps : toute chaloupe, dans la même circonstance, se serait perdue. Cette nuit, si longue et si affreuse, fit enfin place au jour.