Page:Correspondance inédite (1870-1875) d'Arthur Rimbaud, 1929.djvu/20

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sa vision avec son éloquence. Ce sont pourtant ces poèmes que je préfère dans l’œuvre de V. Hugo, malgré leur formidable inadaptation, car derrière les voiles sans nombre des erreurs individuelles, j’y reconnais souvent la trace fulgurante de Celui-qui-inspire.

L’auteur du « Bateau ivre », qui avait, à l’époque où il écrivait ce poème, une personnalité aussi étonnante que celle de Hugo et qui s’était, lui aussi, forgé une forme nouvelle, aurait fort bien pu, j’en ai la certitude intérieure, continuer, jusqu’à la fin d’une vie comblée de gloire, à publier chaque année une œuvre nouvelle et se faire une belle carrière, comme on dit. Mais il a préféré tout sacrifier pour suivre l’Esprit. Et certains qui ont obscurément senti le sacrifice immense qu’il consommait à ce tournant de sa vie que marque la lettre du Voyant, l’ont regretté, tristes lâches !

Mais quelque chose brûlait en lui qui ne lui permettait pas de s’arrêter sur sa voie, de se lier, par quelque compromis que ce fût, à une vie qu’il refusait de tout le dégoût de son être. Il lui fallait donner forme aux révélations qu’il portait dans son sein ; et pour que cette forme ne se figeât jamais, c’est-à-dire ne trahit l’Esprit de merveille qui le hantait, mais toujours fuyait au fil de lame de l’horizon,