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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 1.djvu/349

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NOUVELLES LITTÉRAIRES.

L’ouvrage n’a pas pourtant beaucoup réussi. Il est écrit d’une manière sombre et triste, les faits qui servent de base aux raisonnements sont souvent étranglés ; on y donne d’un air trop dogmatique ce qui ne devrait être hasardé que comme conjecture. Enfin les observations sur les Grecs veulent être méditées, et on n’aime ici que les livres dont la lecture n’occupe pas.

- Les Sonnettes, ou Mémoires du marquis D…[1], sont un roman en deux petits volumes ; l’idée en est singulière. Un vieux duc, usé par les plaisirs, veut au moins en avoir encore l’ivresse. Pour se les procurer, il attire dans son château les personnes les plus aimables de l’un et de l’autre sexe ; la multitude des appartements le met en état d’en recevoir un grand nombre. Les chambres occupées par les hommes et par les femmes sont disposées dans un ordre alternatif ; les clefs sont communes et les verrous inconnus. Les lits destinés aux dames sont pliants et élastiques, mais à un certain point, de sorte qu’il faut deux poids égaux chacun à une personne ordinaire pour mettre en action le ressort des lits. Au centre de gravité de chaque lit est ajusté un fil d’archal qui va remuer dans l’appartement du duc des sonnettes correspondantes ; chaque sonnette a son étiquette et porte le nom des dames qui occupent actuellement les chambres. Les sons des sonnettes sont une vive représentation des mouvements qui les occasionnent : au commencement mesurés, ensuite rapides, peu après confondus, plus marqués enfin, se ralentissant et cessant par degrés. Le maître du logis est averti par là du nombre de fois qu’on a réitéré les plaisirs. Il semble que ces sonnettes ne doivent trahir que les femmes ; mais la liberté dont on jouit au château, et le discernement du vieux seigneur l’éclairent suffisamment sur les intrigues qui se forment, et il ne s’y trompe jamais. Cette imagination aurait pu fournir, je crois, des incidents assez agréables ; mais le jeune auteur, appelé M. Guillard, en a mal profité. Les trois quarts de son ouvrage sont des lieux communs qui n’ont aucun rapport avec le sujet qu’il traite, et

  1. Berg-op-Zoom (Paris), 1749, in-12. Plusieurs fois réimprimé et notamment en 1803, sous le titre de : Félix, ou le Jeune Amant et le Vieux Libertin. « Des noms y sont changés, dit M. Ch. Monselet ; les chapitres y ont des titres ridicules. » L’auteur des Sonnettes est Guiart de Servigné.