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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 1.djvu/359

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NOUVELLES LITTÉRAIRES.

craint toujours de ne pas assez étayer de science et de faits tout ce qu’il dit. Chaque objet qu’il présente, présente lui-même plusieurs objets qui, subalternes, en ont eux-mêmes de subalternes. Le très-prolixe morceau de la génération ne dénote point dans son auteur le véritable esprit de système qui sait généraliser les faits et former une chaîne non-interrompue de conséquences.

Après des réflexions longues et communes sur la distinction de l’âme et du corps, M. de Buffon fait l’histoire du corps humain depuis sa naissance jusqu’à sa mort. Ce développement est agréable, sensible et intéressant. Je vais en extraire ce qui m’a paru le plus curieux et le plus utile.

Quoique la respiration soit essentielle à l’homme, l’auteur soupçonne que l’on pourrait priver d’air l’enfant nouveau-né pendant un temps considérable sans que cette privation lui cause la mort. Une expérience qu’il a faite sur des petits chiens a donné lieu à cette conjecture. Il avait mis la mère dans un baquet rempli d’eau chaude et l’ayant attachée de façon que les parties de derrière trempaient dans l’eau, elle mit bas trois chiens dans cette eau, et ces petits animaux se trouvèrent, au sortir de leurs enveloppes dans un liquide aussi chaud que celui d’où ils sortaient ; on aida la mère dans l’accouchement, on lava dans cette eau les petits chiens ; ensuite on les fit passer dans un petit baquet rempli de lait chaud, sans leur donner le temps de respirer. On les fit mettre dans du lait afin qu’ils pussent prendre de la nourriture s’ils en avaient besoin ; on les retint dans le lait où ils étaient plongés, et ils y demeurèrent plus d’une demi-heure sans en être incommodés.

L’enfant ne commence à rire que quarante jours après sa naissance ; c’est aussi le temps auquel il commence à pleurer, car auparavant les cris et les gémissements ne sont point accompagnés de larmes. M. de Buffon conjecture que la douleur que l’enfant ressent dans les premiers temps et qu’il exprime par des gémissements n’est qu’une sensation corporelle, et que les sensations de l’âme ne commencent à se manifester qu’au bout de quarante jours, car le rire et les larmes sont des produits de deux sensations intérieures qui toutes deux dépendent de l’action de l’âme.