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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 1.djvu/388

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NOUVELLES LITTÉRAIRES

pleine de ressouvenirs et trop sensiblement imitée de Rameau.

M. de Secondat, fils du célèbre président de Montesquieu, vient de traduire un livre intitulé Considérations sur le commerce et la navigation de la Grande-Bretagne[1]. L’auteur examine ce que la nation tire de l’étranger, ce que la nation porte à l’étranger, et quels moyens l’Angleterre pourrait prendre pour tirer moins et pour fournir davantage. Cet ouvrage est rempli de détails curieux et sensibles, de projets nobles et sensés, de vues profondes et étendues. Tout cela est un peu gâté par des longueurs, des obscurités, des répétitions. Je connais peu de livres où il y ait une politique plus d’usage. Cet ouvrage déplaît assez généralement dans ce pays-ci, parce qu’on y fait l’éloge de ce qui s’est fait d’avantageux parmi nous pour le commerce. Or les Français ne peuvent pas se persuader que leur ministère ait à cœur l’honneur de la marine et le progrès du commerce. J’oubliais de vous dire que j’ai trouvé un trait dans ce livre, qui m’a fort réjoui. Charles Ier, roi d’Angleterre, avait si peu de connaissance du commerce qu’il accorda aux Français la permission de pêcher aux bancs de Terre-Neuve dans la vue qu’un couvent de moines anglais ne manquât point de poisson pendant le carême.

— Il nous est arrivé de Suisse, il y a quelque temps, cinq volumes des Mémoires de l’abbé de Montgon[2]. C’est l’histoire de ce qui s’est passé d’important en Europe durant la meilleure partie du ministère du cardinal de Fleury. L’auteur, que j’ai beaucoup connu, a assez de pénétration, beaucoup d’imagination, peu de jugement, des contrastes sans nombre dans le caractère, une hardiesse aussi rare que nécessaire dans les affaires, du haut et du bas dans sa conduite, des instants de lumière et d’obscurité. Son livre dit à peu près tout cela. Je n’ai guère rien lu qui m’ait tant instruit et plus amusé. J’aurais l’honneur de vous parler de cela fort au long, si vous n’aviez été à portée de recevoir ce livre beaucoup plus tôt que nous.

— Les Comédiens français donnent déjà la cinquième repré-

  1. Traduit de l’anglais de Josuah Gée. Genève, 1750, in-12.
  2. Mémoires de différentes négociations de M. l’abbe de Montgon dans les cours d’Espagne et de Portugal, depuis 1723 jusqu’en 1750. Genève, la Haye et Lausanne, 1745-1752, 17 volumes in-12. C’est le commencement de la seconde partie dont Raynal rend compte.