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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 1.djvu/403

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NOUVELLES LITTÉRAIRES.

— Le public attendait avec la dernière impatience un opéra nouveau, de MM. Cahusac et Rameau, intitulé Zoroastre[1]. On paraît un peu refroidi sur ce bien depuis qu’on en est en possession. Le sujet de cette tragédie lyrique est simple, et pouvait être intéressant. Abramane, inventeur d’une magie diabolique et d’un culte abominable, s’unit à Érinice, princesse de la Bactriane, pour occuper avec elle un trône sur lequel elle croit avoir des droits. Zoroastre, magicien d’une autre espèce, instituteur des mages et d’un culte sacré, épouse Amélite, héritière du trône de la Bactriane, et il combat Abramane, en triomphe, établit son empire et rend les peuples heureux. Le ciel et l’enfer sont dans un mouvement continuel durant tout le poëme, et je n’en connais pas où il y ait plus de merveilleux.

Il y a plus de soixante ans qu’on n’avait vu tant de magnificence à notre Opéra. Les habits sont fort riches et d’un grand goût ; les ballets variés et expressifs. Il y a au cinquième acte un temple qui formerait lui seul un très-beau spectacle. Le poëme est bien écrit, mais le rapport des différentes parties n’est pas sensible. Cet air décousu empêche qu’on ne trouve de l’intérêt dans l’ouvrage. La musique n’est pas partout digne de Rameau. Le récitatif est faible, les symphonies médiocres, les chœurs admirables. Cela a fait dire à un mauvais plaisant que c’était l’opéra des laitues dont il n’y a que le cœur qui soit bon.

Mlle Lyonnais, la plus belle de nos danseuses, fait admirablement dans le nouvel opéra le personnage de la Haine. Cette singularité a donné naissance à l’épigramme suivante :

Charmante Lyonnais, dans le triste séjour
CharOù l’art d’Abramane t’entraîne,
Tu fais de vains efforts pour inspirer la haine,
CharTes yeux n’inspirent que l’amour.
En monstres comme toi si le Ténare abonde,
CharTout va changer dans l’univers,
CharEt l’on verra bientôt le monde
CharChercher les cieux dans les enfers.
L’épigramme pourra te paraître imparfaite :
Ce n’est pas mon esprit, c’est mon cœur qui l’a faite.

— La littérature française vient de faire une très-grande

  1. Représenté pour la première fois le 5 décembre 1749.