Aller au contenu

Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 1.djvu/429

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
411
NOUVELLES LITTÉRAIRES.

LXVII

Je viens de lire un nouvel ouvrage intitulé Relation du monde de Mercure[1]. C’est le détail des mœurs, des usages, des plaisirs, des sciences, du climat, des animaux, des productions, du gouvernement de cette planète-là. L’auteur a voulu tantôt peindre notre monde et tantôt peindre un monde nouveau. Dans le premier cas, il manque souvent de philosophie, et dans le second presque toujours d’imagination. Son style est ordinairement assez clair et assez facile, mais il devient gêné et obscur lorsqu’il veut s’élever. Vous trouverez, je crois, que le premier volume est trop froid et le second trop peu naturel. J’ignore de qui est cet ouvrage, mais les dissertations très-déplacées sur la médecine qui s’y trouvent ne permettent pas de douter que l’auteur ne soit médecin. Pour vous mettre à portée de juger si vous devez ou ne devez pas lire ce livre, je vais vous en transcrire un portrait dont vous jugerez mieux que moi.


PORTRAIT DU PREMIER MINISTRE DE L’EMPEREUR.

« Aussitôt que l’empereur a nommé un premier ministre, il est saisi subitement d’une maladie contagieuse à laquelle les autres hommes ne sont pas sujets. Plusieurs en sont morts, d’autres n’en guérissent jamais, et ceux mêmes qui s’en sauvent n’en reviennent pas sans avoir été bien malades.

« Ce mal s’appelle le rengorgement ; il commence par la joie et finit par la douleur. J’expliquerai quelques-uns de ses symptômes, mais non pas tous, car ils sont innombrables.

« Le rengorgement est précédé de vapeurs violentes qui montent à la tête et qui la troublent absolument. D’abord, une espèce de ravissement saisit le malade ; on voit dans ses yeux une joie qu’il ne peut contenir et qui l’étouffe, parce que la décence qu’exige son nouveau grade le force à une conte-

  1. Par le chevalier de Béthune. Genève, Barillot, 1750, 2 vol.  in-12. Réimprimés au tome XVI des Voyages imaginaires.