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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 1.djvu/430

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NOUVELLES LITTÉRAIRES

nance sérieuse. Cependant ce rire retenu se répand sur toute sa personne ; il la gonfle, la redresse et l’allonge au point qu’un nouveau ministre croit au moins de quatre grands doigts en vingt-quatre heures.

« Mais à peine a-t-il joui de l’avantage de sa taille que ses yeux s’égarent, je ne sais quoi de farouche charge sa physionomie et la brunit ; le son de sa voix s’altère et prend un ton affirmatif qui fait peur aux petits enfants et dont les autres ont peine à s’empêcher de rire.

« Quand le mal a gagné jusque-là, on le voit augmenter à vue d’œil. Alors le malade perd la mémoire, il oublie le visage de ses meilleurs amis, il appelle chose ses plus anciens domestiques dont le nom cesse de lui être familier, un mouvement inquiet l’agite sans cesse, il n’entend rien de ce qu’on lui dit, il ne sait ce qu’il répond, il trépigne, va et vient dans une chambre, au milieu des nouveaux idolâtres de son rang. Il tend encore la main, il la serre à qui la lui présente, et c’est la dernière scène comique de cette pièce ; il rentre dans les coulisses et disparaît.

« C’est alors que le rengorgement arrive à son dernier période, et que la force du mal change absolument toute la constitution du ministre et lui donne un nouveau caractère. De sémillant, poli, gai, riant et verbiageur qu’il était d’abord, il devient posé, rude, sombre, hagard, taciturne ; il fuit le monde, il commande des verrous à son appartement, un homme bizarrement vêtu s’en empare. Le cerbère prend par contagion le mal de son maître et devient aussi sauvage que lui ; il défend la porte comme une place frontière, il en repousse les assiégeants, et avec les trois mots on n’entre pas, qui composent toute sa réthorique, il expédie cinq cents personnes.

« Pendant ce temps-là, le ministre mystérieusement renfermé pirouette sur les talons, coupe ses ongles, murmure un vaudeville, écrit à sa maîtresse et prend tout fait de la main de son secrétaire le rapport dont il est chargé pour le premier conseil. Les fonctions importantes étant remplies en trois quarts d’heure au plus, la pendule sonne, notre homme prend son habit, demande sa tabatière et assure sa contenance. La porte s’ouvre ; à l’apparition de l’homme d’État chacun s’empresse, les plus grands l’abordent, quelques-uns lui parlent, il sourit sans